Partie C de: La
complexité -- ses contraintes pour l'innovation sociale. Rapport préliminaire du Groupe 2 pour le compte de Mankind 2000 (Bruxelles)
pour
les Journées d'Etudes (Paris, 28-30 mars 1977) de la Fondation Internationale
de l'Innovation Sociale. [English
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Les textes réunis ici montrent clairement qu'il est maintenant généralement admis que nos institutions sont incapables de répondre efficacement à la complexité croissante de leur environnement, en particulier parce qu'elles sont gênées par les attitudes et les conséquences de la manière traditionnelle dont elles abordent de telles tensions.
Il est de plus en plus évident que l'environnement - que les managers cherchent sinon à contrôler, du moins à orienter et à restreindre - augmente en turbulence et en complexité à une vitesse bien supérieure à la capacité qu'ont les chercheurs en management à apporter des méthodologies nouvelles meilleures, pour infléchir les intentions du management. Face aux conséquences du changement technologique imposé, et des modifications qui en résultent dans les sphères sociale, politique, psychologique et technologique, il existe un danger réel de voir le mécanisme par lequel sont inventés et développés de nouveaux concepts de contrôle du management échapper au contrôle des exigences qu'il faudra vraisemblablement leur imposer. (Introduction à une session de la Conférence sur le Management tenue en 1968 par le Collège des Systèmes de Contrôle du Management ; Institut des Sciences du Management).
Les institutions sociales sont confrontées and des difficultés croissantes, dues à une complexité de plus en plus grande découlant directement ou indirectement du développement et de l'assimilation de la technique. Beaucoup des conflits les plus sérieux auxquels l'humanité a à faire face résultent de l'interaction des forces sociales, économiques, technologiques, politiques et psychologiques ; et une approche fractionnée à partir des diverses disciplines prises individuellement ne peut plus résoudre ces conflits (Déclaration de Bellagio sur la planification, in Erich Jantsch (ed) Perspectives sur la Planification, Paris OCDE, 1969).
Dans pratiquement tous les pays, les scientifiques, les hommes d'affaires et les chefs politiques sont de plus en plus conscients que la race humaine se trouve confrontée à plus de crises que ses institutions sociales et politiques ne peuvent en traiter convenablement.... Beaucoup de mesures importantes sont actuellement prises pour s'attaquer à ces problèmes. Mais ces mesures sont souvent conçues pour s'adapter aux schémas institutionnels existants ou parce qu'elles sont politiquement ou commercialement commodes, alors que d'autres actions, d'une importance peut-être égale ou même supérieure, n'ont pas été encore amorcées. De plus, la ude des crises, ainsi que leur complexité et leurs interactions, sur nt à un tel point les mécanismes créés pour les maîtriser qu'on peut vraisemblablement craindre que ceux-ci ne s'effondrent au moment critique, engendrant les pires désastres (R.A. Cellarius et John Platt. Conseil des Etudes Urgentes. Science, 25 août 1972, pp. 670-676)
Certains problèmes ayant été longtemps considérés comme immuables, certaines fonctions déjà assumées sont devenues plus importantes que les objectifs. Il s'ensuit que, dans le cadre de chacune de ces fonctions, de nouveaux objectifs sont apparus par extrapolation de ceux déjà atteints ; les fonctions définirent les problèmes à traiter et la reconsidération des problèmes auxquels ou était confronté ne conduisit pas à la redéfinition de la fonction .... La rigidité, la fragmentation et la compétitivité institutionnelle de pratiques bureaucratiques sont de toute évidence à la fois les causes et les conséquences de cet état de choses. Le développement bureaucratique résulte en partie du caractère flou des buts poursuivis. Toutefois, la fixation de nouveaux buts ne suffit pas toujours à surmonter ces faiblesses, qui découlent aussi de la tendance de la bureaucratie à résister à l'innovation. C'est pour cela que des sociétés contemporaines sont appelées à remettre en cause certaines formes d'organisation devenues incapables de rendre les services qu'on attend d`elles parce que, dans ces sociétés, les changements et l'incertitude sont devenus les compagnons permanents de la prospérité. Ainsi, au cours du dernier quart de siècle, il était devenu banal que beaucoup de nouveaux problèmes aient été perçus trop tard par la machine gouvernementale qui n'a été souvent mise en action que par l'arrivée d'une crise. C'est la raison pour laquelle l'identification des problèmes naissants est une fonction qui, tendant à être négligée par l'administration publique traditionnelle, ne peut donc pas lui être totalement intégrée" (Organisation pour la Coopération et le Développement Economique, Science, Croissance et Société, Paris OCDE. 1971 pp. 60-61).
..... Une spécialisation croissante rend tous les problèmes plus difficiles. Avec l'accroissement du développement économique et social, la subdivision du travail est portée à des extrêmes qu'on n'aurait jamais imaginés dans les périodes historiques antérieures. Les organisations et les groupes de planification les plus utiles et les plus efficaces sont ceux qui travaillent dans des perspectives étroites et segmentaires, rendant ainsi beaucoup plus difficile tout effort d'ajustement mutuel ou de coordination. L'expert le plus capable, le plus honoré et le plus apprécié est celui qui travaille à l'intérieur d'une sphère de plus en plus petite et qui a de grandes difficultés à communiquer tant avec d'autres experts qu'avec des non spécialistes. (Bertram M. Gross. Stratégie du développement économique et social. Policy Science, 2, 1971, p. 353).
Les institutions, les entreprises et, grâce à la télévision, le citoyen moyen reçoivent aujourd'hui vraiment très vite une information critique ; par comparaison, l'image globale au niveau fédéral est lente à se matérialiser. Autrement dit, le corps politique a des réflexes très exagérés. En physiologie, c'est ce qu'on appelle le "clonus": c'est le symptôme d'un état "spastique". Si nous vivons, comme je le présume, dans une société "spastique", c'est à cause d'une réaction "clonique". Et ces arguments font prévoir que le "clonus" ira en empirant. (Stafford Beer. Complexité moderne du management. in Committee on Science and Astronautics, US House of Représentatives. Le management de l'information et du savoir. Washington, US Government Printing Office, 1970, p. 45).
Beaucoup de nos institutions semblent avoir atteint, par inadvertance, une dimension critique au delà de laquelle elles sont virtuellement incontrôlables d'une façon cohérente. Cet aspect de la vie a été justement décrit par Richard Bellman quand il reçut, en 1970, le premier Prix Norbert Wiener de mathématiques appliquées: "Je crois qu'on commence à se rendre compte que nos systèmes se désintègrent. Nous ne savons pas comment les administrer. Nous ne savons pas comment les contrôler. Et il n'est pas du tout évident que nous puissions contrôler un grand système de telle façon qu'il reste stable. Il se peut très bien qu'il existe une masse critique et que, lorsqu'un système devient trop grand, il devienne automatiquement instable". Nous trouvons ces problèmes dans nos systèmes d'éducation, dans nos systèmes juridiques, bureaucratiques, de transports, de ramassage des ordures, etc.... De même, à mesure que croît la complexité des opérations liées à la société, les structures bureaucratiques organisées autocratiquement et hiérarchiquement (qu'il s'agisse d'affaires, d'éducation, de gouvernement) tendent d'une part à développer une surcharge des communications au sommet, d'autre part à décourager l'esprit d'entreprise et de responsabilité vers le bas de l'échelle.... Il y a un sérieux décalage entre la culture et les institutions du complexe industriello-étatique moderne et la nouvelle image de l'homme, qui commence à se dessiner. Ce décalage produit certaines réactions: une mise en question grandissante de la légitimité des institutions du monde des affaires, dont l'allégeance primaire semble aller aux actionnaires (qui, de façon typique, sont d'autres corporations), et aux managers ; un désenchantement croissant vis-à-vis de l'élite technocratique ; une baisse de la foi et de la confiance en les gouvernements. Tout cela est révélé par de récentes enquêtes. Ce décalage pourrait entraîner de sérieuses dislocations sociales, un déclin économique, une inflation galopante et même l'effondrement des institutions. (Centre d'Etude de Politique Sociale. Les images évolutives de l'homme. Stanford Research Institute, 1974, pp. 230, 232, 240).
Mais ces citations ne montrent pas clairement quelle sorte ou quelle forme d'organisation serait la mieux adaptée à cet environnement complexe, ni surtout comment faciliter la création continue de formes d'organisation plus aptes à répondre aux configurations changeantes des problèmes qu'on cherche à cerner. Pour remplir sa fonction, tout processus ouvert doit éviter de définir a priori la nature des formes auxquelles il donnera naissance. Tout en promouvant, en même temps, un contexte à partir duquel de telles formes peuvent surgir. Une des sources citées plus haut recommande que :
Pour soutenir notre système complexe de société, nous pourrions convertir systématiquement nos structures bureaucratiques massives en organisations formées de sous-systèmes relativement autonomes (en fait, une décentralisation). Cette forme adaptative d'organisation permettrait mieux à la fois de traiter des tâches complexes et de donner aux individus un travail satisfaisant. (Les images évolutives de l'homme, p. 232).
Mais cela n'est qu'une des composantes d'une solution possible, composante qui ignore la question non résolue de la nature et de la dynamique des liaisons à maintenir entre les unités décentralisées, ainsi que la façon de permettre l'usage de la centralisation quand il y a lieu. Le problème est clarifié dans le texte suivant :
Le plan des organisations ou des agences qui composent la société est, pour ainsi dire, une sorte de transparent pos page qui représente la réalité de la société. Et le transparentest toujours déphasé par rapport à ce qu'il y a dessous ; à tout moment il y a toujours décalage entre le plan organisationnel et les problèmes qu'on estime valoir la peine de résoudre .... Fondamentalement, à l'intérieur d'un système unique, il n'existe aucun problème social tel qu'on puisse identifier et contrôler tous les éléments nécessaires pour attaquer ce problème. Le résultat est qu'on est rejeté sur une imbrication d'éléments dans des réseaux qui ne sont pas contrôlés et oú les fonctions du réseau et les rôles du réseau deviennent critiques. (Donald Schon. Au delà de l'état stable; éditcation publique et privée dans une société changeante. Londres, Temple Smith, 1971).
Done les questions fondamentales concernent, d'une part la nature d'une forme alternative d'organisation qui pourrait être utilement explorée, d'autre part les problèmes facilitant la création de réseaux, organisa- tionnels, leur auto-animation, leur transformation éventuelle et d'autres configurations, ou même leur dissolution (sur ce dernier point, il est important de rappeler que beaucoup d'organisations sont souvent de simples monuments commémorâtifs de perceptions périmées de problèmes).
1. Ceux qui ne sont pas satisfaits des organisations existantes se plaignent souvent que la plupart de celles-ci sont basées sur un modèle ou un concept occidental d'organisation. Us prétendent alors qu'elles ne reflètent pas le style, la pratique ou la tradition de l'organisation, des sociétés nonoc ci dentales. Cela dit, cependant, les organisations formelles de telles sociétés tendent à différer très peu dans leur structure du modèle occidental, sauf peut-être en ce qui concerne le degré, direct ou indirect, de l'influence du gouvernement sur leurs activités. Que des formes d'organisation en train d'émerger de l'expérience sociale chinoise, par exemple, puissent être utilisées dans d'autres contextes mérite qu'on y prête attention. Mais il n'y a guère d'indice qu'on assiste à une quelconque dissémination de telles formes d'organisation
2. On a beaucoup discuté des formes d'une organisation pouvant résulter d'une augmentation de la participation de travailleurs (ou d'étudiants, etc....) au management. De telles formes sont-elles suffisamment distinctes pour amener l'amélioration désirée de la capacité de répondre à un environnement complexe ? C'est matière à discussion.
3. Dans certains cas, des efforts délibérés ont porté sur la création d'organisations à structure minimale qui diffusent en réseaux formels d'individus de groupes ou d'institutions. Le Club de Rome en est un exemple. Des conditions dans lesquelles de telles formes conviennent doivent être clarifiées ainsi que les possibilités spécifiques d'une structuration minimale. Il faut noter les expériences du genre de celles des communautés.
4. La trame des liens entre organisations à travers les frontières géographiques ou les domaines d'intérêt peut être telle que le réseau qui en résulte constitue réellement par lui-même une organisation lâche mais à un niveau différent. De telles "organisations" apparaissent sans avoir été délibérément conçues et créées. Il serait utile de savoir comment le processus pourrait être facilité.
5. Dans une organisation, les relations entre membres sont régies conventionnellement par des dispositions statutaires et procédurales, détaillées, dans des documents appropriés. Avec L'arrivée de réseaux de données par ordinateur reliant des terminaux largement dispersés, une nouvelle forme d'organisation basée sur ordinateur prend naissance. Les règles gouvernant l'interaction entre les membres sont précisément contenues dans le logiciel de l'ordinateur, par l'intermédiaire duquel les utilisateurs interagissent à travers le réseau de données. Cette technique, dite conférence par ordinateur, a créé ce qu'on appelle les "réseaux intellectuels en temps réel". Certains d'entre eux traversent déjà les frontières nationales, reliant de nombreuses institutions (y compris des investisseurs institutionnels). Il est évident que les règles établissant la participation des membres-usagers peuvent être modifiées pour y inclure la plupart de celles qui sont essentielles au fonctionnement d'une organisation normale.
6. L'utilisation accrue de la technique évoquée ci-dessus pourrait aussi s'accompagner de modifications sophistiquées de contrôle des procédures dans les organisations. La portée courante des organisations est limitée par la nécessité de procédures simples de vote et de contrôle et par le fait qu'il faut que la constitution des groupes qui en sont membres soit compréhensible"La puissance de calcul et de présentation sur l'écran de l'ordinateur permet l'emploi de techniques de vote avec pondération complexe, pouvant faire varier considérablement les possibilités de distinctions et de moyens de protection contre la fraude. Par exemple, un membre pourrait disposer de dix voix pour un certain nombre de questions, et de soixante-dix pour un autre, les blocs de voix étant eux-mêmes pondérés d'après un indice complexe, lui-même gouverné par un poids qui change au cours de la vie de l'organisation suivant une règle convenue. Cela devrait permettre de composer des organisations de façon beaucoup plus subtile, reflétant plus exactement les intérêts, les capacités, les qualifications de leurs membres. La variété des structures organisationnelles augmenterait de ce fait. De telles "organisations structurées par ordinateur" pourraient être créées avec succès en combinant les membres d'une manière qui, normalement, serait considérée improbable ou comme instable"
7. De telles techniques rendent possible l'existence d'organisations qui ne sont "cohérentes" et qui "n'existent" que sur des questions particulières, ou qui pourraient avoir un grand nombre de membres votant sur une question, mais un nombre limité de membres votant sur une autre. Cela nous amène à un point où le concept d'une organisation en tant que structure distincte et bien définie (autrement qu'en temps d'ordinateurs) est remplacé par l'accent mis sur les composants potentiels d'un schéma structurel à un moment donné, et sur le déclencheur nécessaire pour faire entrer en jeu chacun d'eux. Cette formalisation d'une dynamique inter-organisationnelle est étrangère à la pensée conventionnelle sur l'organisation formelle, mais elle est proche de la compréhension instinctive normale des réseaux formés de petits groupes ou des organisations non formelles et des groupes de pression.(Ce concept d'"association potentielle" est discuté plus loin comme possibilité de constitution de réseaux).
8. Il est clair que les tendances exposées ci-dessus encourageraient la création d'organisations orientées vers certaines questions, et présentant toutes les caractéristiques d'une organisation permanente formelle, mais qui seraient conçues pour une durée limitée (en jours, semaines ou mois). De semblables organisations pourraient même être rapidement "créées" par ordinateur, à partir d'un ensemble de membres ayant manifesté leur intérêtà participer à de tels groupes, suscités par un nombre suffisant de dema.ponse à une question urgente. Toute la procédure concernant l'information des membres, l'enregistrement des statuts, l'obtention de fonds et la mise en route d'actions serait conduite au moyen de réseaux de données. Cela pourrait aboutir à une situation dans laquelle il existerait beaucoup plus d'organisations temporaires de cette sorte "formées par ordinateur" que d'organisations de nature conventionnelle plus permanente. Cela aurait certainement de nombreuses implications qui ne peuvent être étudiées ici.
De même qu'il n'a pas été établi de distinction entre un système et un réseau organisationnels (voir annexe), il est paradoxal d'admettre que des réseaux puissent être "conçus" et "utilisés" plutôt que de dire qu'ils émergent et évoluent d'une manière essentiellement imprévisible mais synergique. (Il serait peut-être plus approprié d'appeler "systèmes" les réseaux créés et utilisés).. Quoi qu'il en soit, voici quelques lignes de développement qui méritent plus ample discussion.
1. Conception inter-organisationnelle
On sait peu de choses des conceptions inter-organisationnelles, pour la raison évidente qu'à chaque initiative organisationnelle, on trouve une tendance naturelle à concevoir une organisation unique, même grande et lourde, et peu d'incitation à explorer la possibilité de réseaux interorganisationnels doués d'un contrôle centralisé minimum ou nul. Voici un commentaire servant d'introduction à un chapitre extrait de lectures sur "la conception et le management de systèmes d'inter-organisations": "Etant donné l'état dans lequel se trouve la recherche sur les relations interorganisationnelles, il peut sembler à la fois prématuré et dangereux de s'intéresser aux questions normatives de création et de restructuration de systèmes inter-organisationnels (William Evan. Relations interorganisationnelles. Londres, Penguin, 1976).
Les trois articles cités en illustration à des approches potentielles utiles soulignent que beaucoup reste à faire. Le premier traite de stratégies pour résoudre un conflit inter-organisationnel, le second se concentre sur la Division Antitrust dn Département de la Justice des Etats-Unis, et le troisième examine le rôle des systèmes de communication par ordinateur en effectuant des liaisons inter-organisationnelles (dans un contexte de marketing de produits). Aucun des trois ne se rapporte à la conception véritable des réseaux d'inter-organisation et au paradoxe qu'elle implique. Toutefois il existe un certain nombre d'études sur les prises de décision dans un environnement inter-organisationnel.
2. Organisation matricielle
Cette approche, développée et réalisée par la NASA pour le projet lunaire, constitue un progrès capital dans la conception d'un réseau ; mais, du point de vue qui nous occupe, c'est un échec puisqu'il s'agit d'une structure pour un projet unique qui est formulé par un seul ensemble. A l'intérieur de la structure matricielle, chacun des ensembles participants, qu'il soit contrôlé ou non par la NASA, est considéré comme étant à l'intersection des influences des autres parties de la structure, lui-même à son tour exerçant une influence sur plusieurs autres. C'est un système qui tend à rendre l'autorité moins visible et à développer le consensus en tant que mode opératoire. Les décisions opérationnelles font partie des échanges entre unités spécialisées luttant pour avoir une part de l'ensemble des ressources du système.
3. Réseaux "ad hoc"
Les aperçus dérivés de l'utilisation d'un modèle de réseau comme moyen de perceptions structurantes concernant la société peuvent être utilisées pour s'approcher du développement d'un autre style d'organisation.
En 1975, dérosant devant le Comité des Relations étrangères du Sénat des Etats-Unis, Alvin Toffler souligna cette possibilité, appliquée à des organisations internationales non gouvernementales (ONG). Il répondait alors à une question sur la façon d'organiser en un réseau cohérent une large variété de groupes d'intérêts.
"La question soulève des difficultés extrêmes. Quand vous dites que "je me méfie d'un Gouvernement mondial, ce dont je me méfie c'est d'une "centralisation du pouvoir, et je pense que nous ne devrions pas nous trouver dans une position d'opposition à la notion d'un ordre mondial basé sur un "pouvoir décentralisé ou un pouvoir pluraliste. nous devons trouver une "structure alternative qui embrasse ces deux questions à la fois. L'idée "facile qui veut que nous serons en état de résoudre nos problèmes si nous "pouvons centraliser le pouvoir, est une hypothèse traditionnelle dérivée "de notre expérience de l'ère industrielle. Je pense qu'elle est de moins "en moins applicable. Une des raisons pour lesquelles je plaide pour qu'on "porte plus d'attention aux ONG est qu'elles constituent le potentiel 'pour n'importe quel nombre de consortia temporaires consacres a une mission "et qui pourraient être réunis, qu'il s'agisse d'organisations pour l'envi"ronnement, d'organisations scientifiques, d'organisations se consacrant "aux développements communautaires ou aux questions d'alimentation, ou à "n'importe quoi d'autre. Il est possible de monter des consortia temporaires "consacrés à des problèmes déterminés. pourleur bon fonctionnement un certain "degré de coordination ou de management est nécessaire. Mais ce que je "décris n'a pas besoin de constituer une pyramide.
"Voici une méthode de description verbale d'une autre structure orga- "nisationnelle. Pensez à la pyramide. Puis pensez à une très mince charpente "qui est essentiellement coordinative, qui est une mince couche de management "et de direction, avec toute une série de noyaux et de modules organisa- "tionnels, essentiellement temporaires, à vie relativement courte et dans "lesquels les gens se déplacent très librement. Ils passent d'un module à "un autre plutôt que de se trouver coincés dans une niche bureaucratique "unique. En mettant de l'argent dans le secteur non gouvernemental, nous "pourrions aider à créer précisément ce mince système coordinatif au sommet. "Nous aurions alors une base pour une organisation "ad hoc" très grande, "très diverse, très souple, quipourrait fonctionner dans le domaine inter- "national."
Et Toffler ne limite pas cette technique aux organisations non gouvernementales :
"..., nous devons penser à la création, non pas d'un centre unique "ou d'un gouvernement mondial unique qui dirigerait quelque jour les nations "du monde, mais plutôt à un réseau auto-régulateur d'institutionstrans- "nationales, à des institutions multiples, à un système r ue. "Un tel réseau transnational peut apporter à la planète plus de stabilité "que le modèle centralisé basé sur une organisation gouvernementale inter- "nationale unique... Nous devons d'abord reconnaître que l'O.N.U. n'est "qu'un petit fragment d'une mosaïque ou d'un réseau naissant d'institutions "transnationales qui font elles-mêmes partie du nouveau système super- "industriel. Ce réseau comprend des milliers d'organisations et des millions "d'individus, qui sont de par le monde en relation continuellement mouvante "entre eux." (Alvin Toffler, Audience devant le Comité Sénatorial des Relations Etrangères, 94e Congrès des Etats-Unis, 1ère Session, 1975).
4. Une association potentielle
Pour répondre aux nouvelles exigences opérationnelles qu'impliqué l'approche suggérée par Toffler, il faut une innovation, l'"association potentielle". Par essence, une telle association n'aurait pas de "membres", au sens conventionnel d'un ensemble défini d'individus ou d'unités d'organisation souscrivant en commun à un ensemble particulier d'idées. On insisterait alors sur la concrétisation du concept ténu d'un ensemble dont les éléments pourraient être reliés entre eux selon différents schémas et dans des conditions appropriées. Le besoin de concentrer son attention sur des organisations existantes (dont la tendance à se perpétuer constitue un obstacle au changement social) s'atténue en faveur d'une reconnaissance de la portée des modèles potentiels dans lesquels les entités composantes qui se trouvent dans le "pool potentiel" pourraient"prendre", en réponse à des conditions nouvelles. Ainsi, les organisations conventionnelles, "permanentes", sont-elles pourvues d'un cadre social significatif et dynamique. De la sorte, tandis que la société peut, en utilisant une approche de ce genre, former à tout moment un complexe hautement ordonné (à basse entropie), -satisfaisant les exigences à court terme de stabilité - la haute possibilité de passer à des modèles complètement différents d'ordre élevé, en des temps plus éloignés, apporte la condition "de désordre" (entropie élevée) essentielle à la facilitation du changement et du développement sociaux correspondant aux nouvelles conditions.
En d'autres termes, nous avons un moyen d'assurer une haute stabilité sociale à chaque moment, tout en pouvant mal augurer de ce qui se passera à l'avenir ; ou bien, en alternative et paradoxalement, nous pouvons penser à une situation potentiellement (c'est-à-dire d'une façon irréalisable) hautement ordonnée au cours du temps qui "contient" une suite de situations très désordonnées. Un avantage de cet état de choses est que les individus et les groupes au pouvoir, éprouvent une difficulté un peu plus grande à assumer des rôles féodaux dans des structures potentielles (à supposer même que ce soit possible).
5. Tension organisationnelle
Il semble qu'il y ait une analogie formelle inattendue entre certaines contraintes de la construction architecturale et des aspects de la conception et de l'organisation de réseaux. L'architecture n'est plus réduite aux simples arches et aux simples dômes dont la stabilité découle du fait que le poids structurel porte sur la continuité compressive des membres porteurs, tout cela étant protégé par d'occasionnels renforcements tensionnels - procédé qui ressemble beaucoup à l'organisation hiérarchique conventionnelle -. Au lieu de penser en termes de poids et de support, on peut concevoir l'espace inclus comme un système de tensions omni-directionnelles équilibrées. Une telle structure n'est pas supportée par le niveau inférieur. Tirée vers l'extérieur, elle tend à prendre un volume sphérique, en raison des forces de tension internes que sa géométrie sert aussi à contenir. La gravitation n'a rien à y voir (cf. R. Buckminster-Fuller. Synergétiques, Macmillan, 1974).
On peut faire de nombreux parallèles avec le développement organisa- tionnel, qui amène les hiérarchies vers les réseaux, et les éloigne des structures oppressives (y compris les implications structurelles de la participation au management des travailleurs, ou des étudiants, etc....).
La valeur de cette analogie est qu'on, a déjà beaucoup réfléchi a la nature, la construction et les forces stabilisantes à l'intérieur des structures qui en résultent en architecture, en géodésie et en tension. Il se pourrait bien que cela nous éclaire sur la façon de concevoir certains réseaux organisationnels utiles pour les cas où la forme hiérarchique n'est plus appropriée.
1. La facilitation des processus réticulaires
Il est clair que les réseaux intra- et inter-organisationnels se développent, se multiplient et évoluent pour répondre à des problèmes sociaux qui sont perçus ainsi qu'à des possibilités d'action. Ces changements sont pour une large part non planifiés et non financés par un quelconque organisme centralisé et ils semblent se corriger eux-mêmes en tempérant leur développement "excessif" par la contre-action de nouveaux réseaux. On ne s'attache guère à faciliter cette croissance que, dans certains cas, on peut considérer comme dangereusement spastique. En dépit de cela, le réseau des organisations (internationales, nationales et locales) représente une très importante ressource inexplorée. Le potentiel (synergique) de ce réseau, si son développement était facilité, est inconnu.
Voici quelques actions possibles qui faciliteraient ce développement :
2. Stratégie organisationnelle d'un réseau
Actuellement, les éléments du problème stratégique comprement :
Ces réseaux, et d'autres encore, ne sont pas des structures statiques. Ils évoluent rapidement sous l'action des pressions et des occasions perçues dans des parties très diverses du système social. Tels qu'ils sont, avec les sous-réseaux qui les composent, ils ne sont ni contrôlés ni contrôlables par aucune institution isolée, ne serait-ce que parce que la complexité ne peut être maniée par aucune institution ou aucun groupe isolé d'institutions.
Le problème stratégique est alors de savoir comment s'assurer que les ressources organisationnelles appropriées apparaîtront, et seront correctement soutenues, pour répondre aux pressions et aux occasions qui se présenteront. Mais il semblerait que cela doive se réaliser sans que de telles réponses soient organisées et planifiées car, dans la mesure où une partie quelconque du réseau est ainsi organisée, d'autres parties se développeront (et devraient probablement se développer), qui favoriseront et réaliseront des approches différentes (et partiellement contradictoires).
Le point important est donc de développer la significiation et les contraintes de ce qu'on pourrait appeler une stratégie de réseaux. C'est une approche qui facilite ou catalyse (plutôt qu'elle n'organise) l'apparition, la croissance, le développement, l'adaptation et l'animation de réseaux organisationnels, face aux réseaux de problèmes, à la lumière des valeurs perçues dans chaque élément particulier du système social"
4. Vocabulaire relatif aux réseaux
Que ce soit chez les universitaires, les hommes qui décident des politiques, les administrateurs ou autres praticiens, le mot "réseau" est utilisé aujourd'hui avec une fréquence à laquelle ne correspond pas une capacité croissante à distinguer entre les types de réseaux. En l'absence de concepts clairs et simples, ainsi que de termes appropriés, une discussion sur une telle complexité sociale ne peut être menée - et encore - qu'avec des phrases extrêmement lourdes et longues, qui créent plus de confusion qu'elles n'en éliminent. Il faut un vocabulaire adapté à la complexité. Faute d'un tel vocabulaire, les débats tendent à éviter de discuter les questions qui surgissent de cette complexité et à se concentrer sur celles qui s'expriment correctement à l'aide du vocabulaire existant. Cela donne l'illusion que les questions dont on peut discuter sont les plus importantes, parce que le vocabulaire courant les exprime bien.
Donc les sciences sociales sont effectivement mises au défi d'identifier des concepts associés à la complexité, et d'établir les termes propres avec lesquels ces concepts dans leurs relations avec les systèmes seront désignés (voir Appendice). Le développement d'un tel vocabulaire réticallaire donnerait un moyen puissant permettant d'objectiver et de démystifier la complexité des réseaux organisationnels, des réseaux de problèmes et des réseaux conceptuels qui nous entourent et dans lesquels s'insère le plus clair de notre activité.
Appendice: "Système" contre "Réseau" |
La définition du mot "système", comme celle du mot "structure", est l'objet d'une confusion permanente et de débats souvent vifs. Il n'est donc pas surprenant qu'affirmer que le mot "réseau" n'est nullement synonyme de "système" tende à soulever de vigoureux débats, comme cela s'est produit récemment à Montréal. Ce sont les sciences pures et appliquées, basées sur les mathématiques, qui sont les plus perturbées par la possibilité de toute distinction. Il est clair que, dans le langage mathématique purement formel, un système et un réseau consistent tous deux en un ensemble interconnecté d'éléments. Mais une fois tenu compte de la nature de ces éléments, du caractère de leur interconnexion et des propriétés de l'ensemble qui en résulte, les distinctions entre les définitions d'un système et d'un réseau deviennent alors confuses, surtout quand se posent des questions de valeurs au sujet du caractère relativement équitable des différentes structures sociales. La question primordiale est peut-être moins la distinction, s 'il y en a une, que les connotations des termes dans les contextes associés à l'activité internationale et organisationnelle. On peut alors se demander pourquoi, dans certains cas, le mot "réseau" est préféré à celui de "système". Avant de comparer un système organisationnel à un réseau organisationnel, considérons les différences entre un système ou un réseau routier, un système ou un réseau téléphonique, un système ou un réseau de concepts. Dans quels cas y a-t-il une connotation négative pour l'un ou l'autre de ces termes ? Les suggestions suivantes montrent comment, en pratique, la distinction tend à se faire :
Plutôt que d'essayer de résoudre la distinction entre système et réseau, il peut être utile d'imaginer que les deux termes sont des approches conceptuelles, différentes mais complémentaires, à un continuum structure- processus. Quand on utilise une perspective de système, on met pratiquement l'accent sur les propriétés et les caractéristiques de la conception, prise globalement comme un ensemble de processus interconnectés (sur lequel on décrit un certain degré de contrôle centralisé). Si l'on veut considérer la structure qui supporte le processus, celle-ci est perçue et représentée d'après ses traits essentiels. Quand on utilise une perspective de réseau, l'accent est pratiquement mis sur les propriétés et les caractéristiques du schéma continu de liaisons constituant la structure. Si, dans un réseau, des processus peuvent survenir, ils sont perçus et représentés comme des chemins à travers le réseau (dont le tracé constitue le défi initial). Plus on s'intéresse aux processus, plus la perspective tend vers l'aspect système. Tandis que si l'on s'intéresse à la représentation détaillée de la structure, la perspective tend vers l'aspect réseau. On a donc tendance à utiliser la perspective de système quand la structure est supposée être relativement simple et conceptuellement bien définie, alors que la complexité du processus pose un défi à la conceptualisation et à la représentation. La perspective de réseau, au contraire, est utilisée quand les processus sont supposés relativement simples et bien définis, mais quand c'est la complexité structurelle qui pose un défi à la conceptualisation et à la représentation. Exprimée en ces termes, la complémentarité des deux perspectives fait ressortir le problème de la description, de l'analyse et de la formulation d'une ligne politique en relation avec la société. L'accent mis sur la dynamique du processus de système, caractérisée par l'approche courante de la modélisation du monde, oblige à éliminer certains aspects structuraux (et spécialement de structure fine) pour atteindre un niveau d'agrégation qui rende l'analyse viable. L'accent mis sur le réseau de structure fine ne serait sans doute possible que si la complexité des caractéristiques du processus était hautement simplifiée"Chacun des deux filtres peut être utilisé, mais si l'on veut pratiquer une investigation compréhensible, ils ne peuvent pas être retirés tous les deux à la fois. |
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