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1977

L'incapacité de l'individu à entreprendre un changement
dans son mode de vie personnel

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Rapport du groupe de travail n° 8 à l'occasion du Colloque européen sur les Modes de vie et changement social en Europe de l'Ouest (Arc-et-Senans, France, septembre 1977) organisé par l'Association Internationale Futuribles. Extrait du compte rendu édité par Futuribles (Paris), pp. 45-49. English version

Introduction

Notre groupe, très peu nombreux - cinq hommes, puis une femme - s'est réuni de façon extrêmement officieuse, sans président, sans ordre du jour nettement défini ; mais il est rapidement tombé d'accord sur l'objet de ses conversations : l'incapacité de l'individu à entreprendre un changement dans son mode de vie personnel. Je donnerai d'abord des indications sur le contexte dans lequel le groupe a défini ses préoccupations et formule ses conclusions. J'exposerai ensuite ses conclusions.

Le groupe a émergé de la confusion dans laquelle se trouvaient certains participants de laréunion, gênés de devoir amputer ou infléchir leurs propres préoccupations pour les faire coïncider avec celles qu'affichaient les autres groupes. Les membres de notre groupe avaient en commun le sentiment que les implications conceptuelles et stratégiques du processus classique de la formation des groupes avaient pour résultat de dissimuler certains problèmes pourtant fondamentaux pour la question du changement des modes de vie.

Un des participants nous a raconté une petite histoire qui illustre bien la préoccupation de notre groupe.

Dans un petit village gallois, le pasteur parlait cha- que dimanche àses ouailles des conséquences fâcheuses de l'al- cool et de l'ivrognerie pour leur mode de vie et pour la société. Le pasteur lui-même était pourtant grand buveur et on le voyait parfois en état d'ivresse. Les adultes du village fermaient les yeux. Un jour, un enfant trouva le courage d'interroger lepasteur sur ce comportement, qui lui semblait manquer de logigue. "C'est très simple, mon petit", répondit le pasteur. "Comprends bien: je suis un poteau indicateur, nais je ne suis pasla voie".

Les participants du groupe sont tombés d'accord pour reconnaître que lafaçon académique et officielle selon laquelle ils avaient tendance à contribuer aux discussions avait pour résultat la production de quantité de poteaux indicateurs, mais de très peu de voies. Cela revient àdénoncer une incapacité collective à déterminer 1'emplacement des poteaux indicateurs.

Le groupe s'est plu à innover dans une certaine mesure en menant ses discussions sur la pelouse, au soleil.

Pendant la séance du matin, il a très vite trouve une procédure: l'interview en profondeur d'un de ses membres, por tant sur lui et sur ses relations avec ses enfants. Par moments, l'interview a même pris les allures d'un interrogatoire. Je témoigne ici de la reconnaissance du groupe àl'interviewé pour l'esprit de collaboration dont il a fait preuve en fournissant ainsi les matériaux et l'illustration sur lesquels nous avons pu fonder nos discussions. Ces discussions nous ont permis de constater que, si les vues collectives des participantsà la réunion éclairaient de façon très perspicace les changements macro-sociaux, nous restions incapables de nous rendre au village voisin pour y faire la preuve de l'opportunité de ces change- ments par notre propre comportement.

Pendant la séance de 1'après-midi, certains membres du groupe se sont lancés dans une expédition au village, aux fins d'investigation. Mous devons signaler qu'avec le consentement tacite du groupe, l'un de nous a jeté des pierres au poteau indicateur. Deux autres ont fait semblant d'ignorer los avances d'un habitant du village qui paraissait désireux de bavarder avec nous. Nous avons gênélacirculation. Un des participants a répondu sur le même ton aux aboiements des chiens dont nous avions dérangé la sieste. Ce même membre aurait peut-être été jusqu'à déranger le fonctionnement du mécanisme du passage à niveau s'il avait pu y accéder.

Nous sommes persuadés que ces observations sont une confirmation supplémentaire de nos conclusions, auxquelles je passe maintenant.

Les personnes qui recommandent des changements sociaux, en particulier celles qui recommandent des changements du mode de vie individuel, fournissent quantité de propositions prati- ques, révélant une imagination fertile. Pourtant, il est mani- feste que ces mêmes personnes sont incapables d'apporter aucun changement important dans leur propre mode de vie personnel ; d'ailleurs, le plus souvent, elles n'en reconnaissent pas le besoin.

Même dans le cas où les individus reconnaissent qu'ils auraient intérêt àmodifier leur mode de vie et où ils sont moti- vés pour provoquer ces changements, ils éprouvent une impuissance àopérer aucun changement fondamental. Et, même lorsqu'ils ont conscience de cette impuissance, ils ne se trouvent pas en mesu- re de se rééduquer pour faciliter les changements de ce genre. Ils savent analyser le phénomène, formuler les options opportunes - mais ils sont incapables d'agir en conséquence pour ce qui les concerne. On pourrait citer quantité d'exemples courants: la façon dont les gens jettent des papiers dans les lieux publics, consomment trop d'alcool, sont incapables de cesser de fumer, gaspillent l'énergie et les ressources matérielles.

On trouve généralement normal d'ignorer cette difficulté fondamentale et de la dissocier de notre préoccupation collec- tive pour les changements macro-sociaux des modes de vie. Notre groupe a considéré au contraire que la solution de ce problème de base est essentielle ;

Le groupe était, par définition, incapable de faire plus que de mettre le doigt sur la nécessité de s'attaquer à cette question et àses implications pour lechangement social et pour la formulation de recommandations pertinentes.

Il a réfléchi à ce que l'on pourrait faire et quatre possibilités lui sont apparues comme méritant plus ample examen:

  1. Si l'individu, agissant seul, est incapable de se rééduquer ou de modifier son mode de vie personnel, il semble que cette possibilité existe pour de petits groupes ou réseaux de gens agissant collectivement. En dépit des renseignements dont nous disposions, nous n'avons pas encore pu discerner clairement comment les groupes de ce genre pourraient prendre des mesures pour modifier le mode de vie de lours membres.
  2. Tout en reconnaissant que cette proposition élude la question fondamentale, nous avons trouvé beaucoup àdire on faveur de la publication d'un ou plusieurs livres destinés aux enfants, pour leur montrer comment faire pour éviter d'adopter le mode de vie dans lequel leurs parents sont piégés. C'est d'autant plus important que les parents ont tendance à seriner à leurs enfants les arguments fallacieux qui justifient leurs propres erreurs.
  3. Les organisateurs de réunions devraient prendre garde à ne pas mettre l'accent sur l'aspect conceptuel/intellectuel des questions traitées, aux dépens des éléments affectifs.
  4. Nous avons appris à introduire la campagne dans la ville, sous forme de parcs, mais nous n'avons pas encore appris à mettre la ville à la campagne. En d'autres termes, l'individu a du mal à développer à la campagne la qualité de vie qui attire les gens vers la ville - ce que nous pourrions appeler: la masse critique de la communication. Pour trouver une solution neuve à cette difficulté il faudrait envisager la question selon une approche collective, afin d'éviter un mode de vie "monoculturel".

En conclusion, tout individu est co-déterminé par son environnement social. Bien entendu, il y a des degrés très divers dans la façon dont l'individu réussit à lui échapper, ou à le modifier, ou dans la façon dont il en devient victime. L'individu peut devenir une victime consciemment ou inconsciemment. Pour modifier l'environnement ou pour lui échapper, il faut de la perspicacité et de la volonté. L'esprit de décision, ou plus exactement le fait d'être capable de prendre des décisions et d'y trouver du plaisir, détermine le mode de vie de chacun et sa joie de vivre.

Il convient de signaler que les membres du groupe ont eu 1'impression d'avoir agi de manière cohérente avec leurs vues personnelles, qu'ils ont trouvé la chose bénéfique, personnellement et professionnellement, et qu'ils ont pris plaisir à cette expérience. Ils remercient les organisateurs de leur en avoir fourni l'occasion.


Faisant partie du groupe: Hans Buchholz (Zentrum Berlin für Zukunftsforschung), Tatjana Globokar, Anthony Judge (Mankind 2000), Peter Mettler

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