Etant donné la crise budgétaire qui sévit actuellement dans le monde des organisations internationales comme ailleurs, il est certainement permis de se demander si l'étude de la question de "l'utilisation de la documentation internationale" a aujourd'hui quelque chance d'aboutir à d'utiles conclusions. Le rapport du Colloque de 1972 dégage, en ce qui concerne l'utilisateur, une série de problèmes qui demeurent entiers (l). Mais depuis lors, la tendance est à la compression et non pas à l'augmentation des crédits. De plus, les espoirs de voir s'instaurer d'amples échanges d'informations entre institutions, plus particulièrement d'informations automatisées, se sont en grande partie évanouis ou concentrés sur d'étroits domaines très spécialisés. Les gens que préoccupait naguère l'endettement de la documentation internationale s'y sont aujourd'hui résignés. La priorité que chaque organisation accorde aux préoccupations touchant ses propres programmes ce case a rejeté à l'arrière-plan la question des relations entre les personnes qui pourraient collaborer à de tels échanges. Le plus souvent, là où un système d'information croisée était réellement indispensable, ce sont des services extérieurs, éventuellement créés par une entreprise commerciale à l'échelon national, qui ont fait le nécessaire. Cela étant, les recommandations du Colloque de 1972 constituent toujours des directives minimales suffisantes.
Par ailleurs, depuis 1972, on assiste à la progression de l'ordinateur de poche qui a modifié, aux yeux de l'opinion, la crédibilité de la "révolution informatique". De nombreuses études ont été consacrées à la "société informatique" présente et future. Le terminal se fraie un chemin dans les bureaux ou sonnera incessamment, nous dit-on, la fin de "l'ère du papier". Au foyer, ce type d'appareil est utilisé (comme accessoire de télévision) à des fins éducatives et récréatives. Les organismes internationaux et nationaux s'en servent maintenant à titre expérimental, chacun selon des modalités qui lui sont propres et pour les besoins de ses propres activités. Ils y sont d'ailleurs fortement contraints à cause de l'extension rapide des réseaux internationaux d'information par satellite et de la multitude de bases de données accessibles par l'intermédiaire de ces réseaux.
L'optimisme à tous crins de ceux qui participent à la révolution vers la société d'information n'est pas partagé, tant s'en faut, par ceux qu'intéressé la problématique planétaire. Les crises se sont succédé de façon quasiment ininterrompue et, de plus en plus, les organisations internationales sont considérées comme les spectateurs impuissants de cette dégradation de la situation. La perte de confiance en ces organisations, dont témoignent leurs difficultés budgétaires, n'est qu'un aspect du scepticisme général qu'inspirent les institutions en place.
Dans ces conditions, ce serait sans doute adopter une attitude à courte vue, pour ne pas dire absurde, que de tenter une analyse classique, à caractère introspectif, des problèmes que pose "l'utilisation de la documentation internationale". La gravité des temps que nous vivons exige, semble-t-il, que nous jetions un regard neuf sur le contexte dans lequel les objectifs de la "documentation internationale" sont définis et perçus par l'utilisateur, existant ou potentiel. Ne pas le faire serait tout simplement s'attirer les sarcasmes souvent entendus dans les milieux de gestionnaires : "Ayant perdu de vue leurs objectifs, ils redoublèrent d'efforts".
Le risque, dans la société d'information qui se profile aujourd'hui, est que bon nombre des vieux rêves du bibliothécaire, habité par la vision d'une automatisation totale et d'un répertoriage poussé dans le détail, deviennent trop facilement réalité. La question n'est pas de savoir si une évolution de cette nature est souhaitable, notamment du point de vue de l'utilisateur. Bans la phase de transition où nous sommes, il faut surtout se demander si les innovations en question sont évaluées dans un cadre suffisamment grand, eu égard aux besoins qui existent en temps de crise et de bouleversements sociaux. C'est là, bien entendu, une préoccupation qui est avant tout l'affaire des services de documentation internationale. Les questions posées sont-elles les bonnes - en d'autres termes, en est-il de meilleures à poser ? C'est vers la recherche d'un cadre de cette nature, propre à faire surgir de meilleures questions concernant l'utilisation, que le présent rapport est essentiellement orienté.
Les organismes internationaux ont suffisamment insisté sur la complexité et la gravité de la crise que traverse le monde,pour qu'il ne soit pas nécessaire de revenir ici sur cette question, fût-ce brièvement (2). La prise de conscience de cette problématique planétaire a donné lieu à une nouvelle série d'études perceptives. Le fait surprenant est que toutes ces études mettent en relief des considérations analogues qui ne sont pas sans rapport avec les objectifs d'un système de documentation internationale, quel qu'il soit.
C'est ainsi qu'en 1978, M. Soadjatmoko, ambassadeur d'Indonésie ( nommé recteur de l'Université desNations Unies en 1980.), a souligné en ces termes l'importance de la "capacité d'apprendre des nations":
"La capacité d'une nation - non pas du seul gouvernement, mais bien de la communauté tout entière - de s'adauter à une situation techno-économique, socio-culturelle et politique en rapide évolution, au point qu'on puisse parler d'une transformation sociale, dépend pour beaucoup de sa capacité, en tant que collectivité, de produire, d'absorber, de drainer et d'utiliser une importante quantité d'informations nouvelles et pertinentes. Cette capacité de réagir de façon constructive et novatrice devant une situation mouvante et des difficultés nouvelles, c'est ce que j'appellerai "la capacité d'apprendre" d'une nation. A l'évidence, elle ne se limite pas ál'acquisition de connaissances par la société et embrasse également tout ce qui touche aux attitudes, aux institutions et à l'organisation de cette dernière (3)."
Ces observations sont très proches de celles qu'a faites le professeur Helmut Arntz, en sa qualité de Président, dans l'allocution qu'il a prononcée à l'occasion du 80ème anniversaire de la Fédération internationale de documentation, en 1975. Le professeur Arntz a en effet déclaré ce qui suit :
"... l'information ... est le seul moyen de garder suffisamment le contrôle de l'évolution pour que l'humanité ... conserve toujours une avance sur la menace qui peut mener à la catastrophe ... la survie ce l'homme dépend de l'obtention et de l'utilisation de l'information ... (4)."
Le dernier en date des rapports présentés au Club de Rome a été publié en 1S79 (5). Ses auteurs font le raisonnement suivant :
"Pour ceux qui écriront l'histoire des années 1970, ce que nous percevons confusément aujourd'hui sera évident. Non seulement il manque encore un élément d'importance capitale dans la plupart des discussions consacrées aux problèmes mondiaux, mais encore les plus brillantes analyses de la problématique planétaire détournent l'attention d'une question fondamentale. Ce qui manque, c'est l'élément humain, et la question fondamentale, c'est ce qu'il est convenu d'appeler le déphasage humain, c'est-à-dire l'écart entre une complexité croissante et notre capacité d'y faire face ... Le présent rapport examine la question de savoir comment l'apprentissage peut aider à éliminer le décalage. Le terme 'apprentissage', tel que nous l'utiliserons ici, doit être pris dans un sens large, dépassant l'acception habituelle de termes comme 'enseignement' ou ' scolarité'. Pour nous, apprendre, s'éduquer, c'est aborder à la fois la connaissance et la vie dans une optique qui fait une place de premier plan à l'initiative humaine. C'est acquérir et mettre en pratique les nouvelles méthodes, compétences, attitudes et valeurs que suppose la vie dans un monde en évolution. Apprendre, s'éduquer, c'est se préparer à faire face à des situations nouvelles. En distinguant la notion d'apprentissage, ainsi comprise, de l'instruction par la scolarité, nous ne laisserons pas de côté pour autant l'enseignement qui est un moyen essentiel et formel de favoriser l'acquisition de l'intelligence des choses ... De plus, nous ferons valoir que peuvent apprendre et s'éduquer non seulement les individus pris isolément, mais encore les groupes d'individus, les organisations et même les sociétés. Le concept 'd'éducation sociétale' ou 'apprentissage sociétal' est relativement neuf et suscite quelques controverses. Pour d'aucuns, il ne s'agirait là que d'une métaphore qui fausse le sens de l'éducation. Le concept d'apprentissage sociétal a sans aucun doute ses limites, mais nous affirmerons néanmoins que les sociétés peuvent apprendre et apprennent effectivement, et nous n'hésiterons pas à citer des faits prouvant que des processus d'apprentissage sociétal sont en cours ici ou là. Le fait que, de nos jours, un apprentissage défectueux contribue à la dégradation de la condition humaine et à une accentuation du déphasage de l'homme ne peut pas être perdu de vue. Les processus d'apprentissage accusent un retard alarmant et laissent l'individu aussi bien que la société impuissants à relever les défis qu'impliquent les problèmes mondiaux. En raison de cette carence de l'apprentissage, l'humanité demeure insuffisamment préparée à faire face. Dans ce contexte, l'apprentissage est beaucoup plus qu'un problème mondial comme un autre: ses carences représentent fondamentalement le problème sur lequel s'articulent tous les autres, en ce sens cu'elles limitent notre capacité de saisir n'importe quel autre élément de la problématique planétaire. Ces limites ne sont ni fixées une fois pour toutes, ni absolues. Le potentiel humain est artificiellement comprimé et grossièrement sous-utilisé - au point qu'en pratique la possibilité d'apprendre semble pratiquement sans bornes." (5, p. 6 à 9 du texte anglais.)
En 1980, Alvin Toffler (auteur du "Choc du futur"), a public un ouvrage (6) il passe en revue les facteurs positifs à isoler dans la crise que nous traversons uellement. Il y souligne l'importance de la "mémoire sociale" et analyse la Evolution résultant à cet égard des changements intervenus dans "1'infosphère".
Toffler s'exprime en ces termes :
"L'extraordinaire capacité que noua avons de stocker et retrouver le produit de la mémoire collective est le secret du succès de l'espèce humaine à travers les âges. En conséquence, tout ce qui modifie sensiblement la façon dont nous construisons, préservons ou utilisons la mémoire sociale touche aux sources mêmes de notre destinée. Deux fois déjà au cours de son histoire, l'humanité a radicalement transformé sa mémoire sociale. Aujourd'hui, alors que prend corps une nouvelle infosphère, nous sommes au bord d'une troisième transformation de cette nature, prêts à prendre notre élan ... Si le saut dans une Troisième Vague, dans une troisième couche de l'infosphère, est une aventure historique si enthousiasmante, c'est parce qu'il doit permettre, non seulement de repousser considérablement une fois encore les limites de la mémoire sociale, mais aussi de redonner vie à cette dernière. L'ordinateur, parce qu'il traite les données qu'il emmagasine, crée une situation sans précédent dans l'histoire: il fait de la mémoire sociale un élément à la fois expansible et actif. Et la combinaison de ces deux qualités sera, à coup sûr, un facteur de dynamisme." (6, pp. 192 et 195).
Les espoirs que l'on avait mis dans un "cerveau universel" ont été déçus; revanche, nous voyons très rapidement se mettre en place une infrastructurede l' information qui donne des résultats (7) et qui permettra d'aller beaucoup plus loin que les aspirations de ceux qui, les premiers, se sont penchés sur l'avenir l'information. (Les quelques dernières années ont toutefois été marquées parlarenaissance d'une école de l'Esprit universel (8)). Toffler ajoute :
"Si nous ne réduisons pas en cendres notre planète et, avec elle, notre mémoire sociale, nous serons d'ici peu aussi près que possible d'une civilisation dont l'oubli est exclu." (6, p. 195)
Ce raisonnement optimiste masque un problème fondamental qui a été mieux dans le rapport du Club de Rome cité plus haut. Car s'il est vrai que unniquement, tout élément d'information peut sang doute être mémorisé, la dificulté est de savoir comment l'utilisateur tirera parti de cette possibilité, donné la capacité de traitement limitée du cerveau humain. Plus précisément, comment l'utilisateur apprendra-t-il grâce aux moyens mis ainsi à sa disposition, et dans quelle mesure ces moyens faciliteront-ils l'apprentissage sociétal au regard de la problématique mondiale ?
Cette difficulté fondamentale ressort plus clairement de la Déclaration de Dakar (1979) sur l'informatique pour le tiers monde (9), où il est dit:
"De nos jours, l'élément clé des communications entre hommes - à savoir, la demande et la transmission d'informations - tend à fausser ces communications. Les grandes découvertes scientifiques et technologiques qui ont déclenché la révolution informatique ont laissé loin derrière le processus d'éducation de la société humaine. Ce décalage culturel est le plus gros obstacle à franchir pour parvenir à une vision d'ensemble des incidences de l'informatique. Il s'agit là d'une question de valeurs, de capacité d'organisation et de transformation des structures mentales."
Mais même dans cette déclaration, on omet de distinguer les dimensions collectives et les dimensions individuelles du problème. C'est aux unes et aux autres que nous nous attacherons dans les pages qui suivent.
1. Spécialisation de l'utilisateur
Point n'est besoin d'examiner ici la grande masse d'informations dont on dispose actuellement ou le rythme auquel elle croît, dans tous les domaines du savoir - y compris ceux qui intéressent les organisations internationales. Dire que personne ne peut être à même de "maîtriser" tous les domaines du savoir est depuis longtemps un truisme et peu de gens sont censés pouvoir en maîtriser un, à moins qu'il soit très spécialisé. Cette situation ne pose pas de grands problèmes dans le monde de la documentation. L'idée est que les utilisateurs ont des difficultés particulières et on les oriente, plus ou moins efficacement, vers les services et les outils d'information les plus aptes à apporter la solution.
Si, sa recherche terminée, l'utilisateur a devant lui un choix de 65 documents (ou plus) qui touchent à son problème, c'est à lui de décider de la façon de procéder. S'il est embarrassé, on estime judicieux de lui demander d'être plus précis dans ses demandes. On peut même l'y aider, en lui permettant d'explorer des résumés analytiques. Si, au bout du compte, il se plaint de "ne pas avoir le temps" d'explorer tous les résumés ou certains documents "pertinents", le service de documentation n'a pas à s'en préoccuper, surtout si l'utilisateur connaît l'existence des documents en tant qu'abonné à un système de diffusion sélective de l'information (DSl) qui tient compte de son profil d'utilisateur.
2. Les modes d'utilisation de 1'information
Présentés ainsi, les problèmes de l'utilisateur ne sont pas du ressort du service de l'information. Cependant, ils sont de nature à soulever des questions - justifiées par les remarques de la section qui précède - sur la valeur des systèmes d'information existants ou envisagés. Pour clarifier ces problèmes d'information, il faut préciser davantage les "contextes d'utilisation" qui peuvent être ceux des systèmes d'information. On peut distinguer les suivants :
Nous ne nous occuperons pas ici des deux premiers modes d'utilisation. On a de plus en plus tendance à admettre qu'ils existent et donnent satisfaction. Les problèmes des utilisateurs du troisième, qui est d'une importance capitale pour les services de documentation internationale, sont examinés en détail dans le rapport des Journées d'études internationales de 1972 (1). Les systèmes existants et ceux qui sont envisagés sont satisfaisants poux les utilisateurs qui ne leur demandent pas plus que de préciser les informations dont ils ont besoin.
3. Apprentissage d'entretien/apprentissage par le choc
Les trois premiers modes d'utilisation correspondent aux besoins pour ce que le rapport du Club de Rome (5) désigne par "Apprentissage d'entretien" :
"L'apprentissage d'entretien est l'acquisition de conceptions, de méthodes et de règles déterminées permettant de faire face à des situations connues qui se répètent. Il favorise notre aptitude à résoudre les problèmes posés. C'est le type d'apprentissage visant à maintenir un système ou un mode de vie. L'apprentissage d'entretien est et continuera d'être indispensable au fonctionnement et à la stabilité de toute société" (5, p. 10).
L'apprentissage d'entretien renforce les catégories et les paradigmes existants, les disciplines qui en découlent et la division du travail professionnel et institutionnel dont ils constituent le fondement. Le financement des systèmes d'information qui y sont associés est régi par des priorités d'entretien. Toutefois, comme le souligne le rapport du Club de Rome :
"De tout temps, les sociétés et les individus ont adopté une structure d'apprentissage continu d'entretien interrompue par de courtes périodes d'innovation stimulée en grande partie par le choc produit par des événements extérieurs ... Aujourd'hui encore, l'humanité continue d'attendre des événements et des crises qui catalyseraient ou imposeraient cet apprentissage primitif par le choc. Mais la problématique planétaire introduit, au moins, un risque nouveau - le risque que le choc pourrait être fatal. Cette éventualité, si lointaine qu'elle soit, met en évidence de façon très précise la crise de l'apprentissage classique: en comptant surtout sur l'apprentissage d'entretien non seulement on empêche l'émergence de l'apprentissage novateur, mais on rend l'humanité de plus en plus vulnérable au choc; or, dans des conditions d'incertitude planétaire, l'apprentissage par le choc est une solution face au désastre" (5, p. 10).
C'est l'apprentissage par le choc qui a conduit à de nouveaux programmes, ce nouvelles institutions, et a rendu nécessaires de nouveaux types de services d'information, recoupant les catégories antérieures (on peut citer les problèmes de l'énergie ou de l'environnement). Cependant on lit dans le rapport ;
"La structure classique de l'apprentissage d'entretien/apprentissage par le choc est impuissante face à la complexité planétaire et risque, si on n'y prend garde, d'avoir au moins une des conséquences suivantes :a) la perte de la maitrise des événements et des crises provoquera des chocs extrêmement coûteux, dont l'un pourrait très bien être fatal; b) les longs délais propres à l'apprentissage d'entretien conduisent pratiquement àrenoncer à des options nécessaires pour prévenir toute une série de crises récurrentes; c) le recours aux connaissances spécialisées et la brièveté qui sont propres à l'apprentissage par le choc entraîneront la marginalisation et l'aliénation de plus en plus de personnes; d) l'incapacité à mettre rapidement un terme aux oppositions de valeurs en période de crise aboutira à la perte de la dignité humaine et de l'accomplissement de l'individu" (5, pp. 11-12).
A la suite de cette conclusion, le rapport expose son idée maîtresse: "l'apprentissage novateur est un moyen nécessaire pour préparer les individus et les sociétés à agir conjointement dans des situations, particulièrement celles qui ont été et continuent d'être créées par l'humanité elle-même" (5, p. 12). L'anticipation consciente est considérée comme l'une des caractéristiques primordiales de l'apprentissage novateur par opposition à l'adaptation inconsciente, qui est propre à l'apprentissage d'entretien. On conçoit l'anticipation comme étant nécessairement liée à la participation - c'est là la seconde caractéristique. Sans elle, l'anticipation devient stérile. Quant à la participation sans l'anticipation elle peut avoir des effets négatifs ou fâcheux et conduire à l'impossibilité d'agir ou à une action qui va à l'encontre du but recherché. Le rapport souligne qu'il ne suffit pas que seuls les élites ou les décideurs anticipent lorsque la résolution des problèmes mondiaux dépend du large soutien de groupes de toutes sortes (5, pp. 13-14).
L'apprentissage novateur correspond manifestement au "mode d'exploration ouverte" - le quatrième mode d'utilisation mentionné. Etant donné l'importance qu'on y attache, il convient de se demander dans quelle mesure -- les_ systèmes de documentation internationale répondent aux besoins d'un apprentissage avec anticipation comme processus de participation.
Dans la section précédente on a vu que la spécialisation de l'utilisateur était une condition générale. Cette condition est caractéristique d'n mode d'utilisation orienté vers un programme, associé aux processus adaptatifs de l'apprentissage d'entretien. Dans ce mode d'utilisation, on ne yeut vraiment dire que les possibilités de l'utilisateur soient limitées car, raquefais qu'une difficulté se présente, il est simplement admis qu'il faut une socialisation plus poussée. La spécialisation permet à l'utilisateur de surmonter les difficultés venant de ses possibilités limitées (en le plaçant devant des difficultés extérieures à lui). La spécialisation est définie ici comme extuant celle de toute matière trop complexe. En d'autres termes, l'utilisateur de concentre sur les matériaux qu'il juge répondre à ses "besoins et convenir à ses capacités (qu'il s'agisse d'un écolier ou d'un étudiant licencié). (Toute relative "incompétence" opérationnelle d'un utilisateur apprenti peut être considérée comme une limite que la société lui impose effectivement; le niveau éducatif de la documentation qu'il est capable d'absorber définit une forme de spécialisation)
2. Limites dans l'apprentissage
Le rapport du Club de Rome se montre optimiste dans sa conclusion:"Le potentiel humain est artificiellement comprimé et grossièrement sous-utilisé - au point qu'en pratique, la possibilité d'apprendre semble pratiquement sans bornes" (5, p. 9 - "pas de bornes à l'éducation" est le titre du rapport), "Surmonter le déphasage humain", qui est le sous-titre du rapport, vient de l'idée que "le déphasage humain est l'écart entre une complexité croissante et notre capacité d'y faire face" (5, p. 6).
Dans le cas de l'utilisateur isolé, cet "écart" se présente sous la forme d'une ou plusieurs limites. C'est seulement en analysant la nature de ces limites (énumérées ci-dessous) que l'on peut définir la forme d'arprentissage qui est "illimitée". (Le rapport est nécessairement inprécis, simon ambigu, du fait que le Club de Rome accorde peu d'attention à ces limites dans son étude axée plus généralement sur les possibilités illimitées de l'apprantissage.)
En avançant qu'il n'y avait "pas de bornes à l'apprentissage", le rapport du Club de Rome sous-entendait en réalité qu'il n'y avait pas de linites à l'apprentissage d'un grand nombre d'individus, ayant des intérêts qui se chevauchent ou sont complémentaires. C'est pourquoi le problème des limites à l'apprentissage sociétal sera examiné dans la section suivante.
Etant donné les contraintes précitées, il importe cependant de reconnaître le défi lancé à l'utilisateur et au système d'information qui est à son service. Le rapport souligne :
"Quelques sociétés ont timidement entrepris des études interdisciplinaires et transdisciplinaires, mais la tendance actuelle à la fragmentation persiste ... Les effets ce la surspécialisation ne sont ressentis nulle part aussi vivement que dans le contexte des problèmes planétaires. Il est tout simplement impossible d'analyser et de fornuler des politiques dans ce domaine sous l'angle d'une seule discipline, quelle qu'elle soit. Les approches économique, juridique, sociale ou politique, ne suffisent pas, par elles-mêmes pour traiter des problèmes qui nécessitent une compréhension intégrée et holistique. Une telle spécialisation conduit pratiquement au manque de pertinence". (5, p. 70)
Les systèmes d'information internationaux n'ont guère facilité les approches interdisciplinaires. On trouvera un aperçu de ces approches avec une abondante bibliographie dans un ouvrage intitulé "Integrative, Unitary and Transdisciplinary Concepts" (section Kt réf. 2). La bibliothèque de l'institution intergouvemementale pour- les programmes interdisciplinaires en cours n'a pas catalogué cet ouvrage dans son système informatisé, bien qu'elle le posside. (Peut-être parce qu'il utilise seulement la catégorie "interdisciplinarité" pour les quelques sujets qu'il traite selon cette approche). On connaît peu de chose sur la façon dont un utilisateur- apprenti peut parvenir à une compréhension globale, comme le recommande le rapport du Club de Rome (5,p. 98). On trouvera des opinions à ce sujet dans des études distinctes (12, 13).
C'est dans cette perspective globale que le problème de l'apprentissage novateur (examiné plus haut) doit être de nouveau posé. Comment les systèmes d'information internationaux - qui doivent s'en tenir pour des raisons financières intellectuelles et individuelles, à des thésaurus composés de catégories fixes - vont-ils réagir face aux besoins globaux des futurs utilisateurs ?
"L'apprentissage novateur consiste à formuler et à grouper les problèmes, Ses caractères principaux sont l' intégration, la synthèse et l'élargissement des horizons. Il fonctionne dans des situations ou des systèmes ouverts. Son importance provient de la disparité des contextes (A ce sujet, voir la réf. 14.). Il aboutit à la remise en question des hypothèses classiques qui sous-tendent les idées et les actions traditionnelles, se concentrant sur les changements à apporter. Ses valeurs ne sont pas immuables, mais plutôt fluctuantes. L'apprentissage novateur fait progresser notre réflexion en reconstruisant des ensembles, non en morcelant la réalité". (5, p. 43) Le système de la documentation internationale est-il adapté pour résoudre le problème de l'apprentissage novateur ? Est-il juste de critiquer son informatisation progressive dans les ternes suivants : "Il est déplorable que les techniques novatrices, introduites dans les structures de l'apprentissage d'entretien, aient été détournées vers des tâches d'entretien, comme la présentation rapide de faits fixes, qui était caractéristique des premiers essais d'enseignement programmé". (5, p. 32)
Il s'agit d'aider l'utilisateur-apprenti à reformuler son schéma de classement par catégories pour y substituer un autre, d'une pertinence plus novatrice.
"Or, même si tous les éléments contenus dans l'ensemble des publications étaient identifiables et disponibles à un coût peu élevé (ce qui est l'objectif de tous les partisans de cette approche, il susbsisterait néanmoins un problème : Comment améliorer la pertinence des questions posées dans la problématique du processus d'élaboration de la politique ? Ce n'est pas la recherche documentaire qui est le problème, elle ne fait qu'aggraver ce problème plus fondamental. Dans les systèmes de recherche documentaire, les interrogations sont orientées en fonction des connaissances et des biais de l'utilisateur. Ces systèmes ne dirigent pas l'utilisateur orienté sur la politique vers les connaissances et les sujets qui devraient aussi l'intéresser, eu égard à ses préoccupations du moment (compte tenu d'opinions précises ou différentes). Ils n'attirent -pas son attention dans le cas où sa préoccupation peut se rattacher à d'autres préoccupations. Ilne lui est donné aucun sens d'échelle, de proportion ou d'orientation - il n'obtient que ce qu'il a demandé, quelles que soient ses difficultés à formuler la question dans les termes qui conviennent" (15).
La citation qui précède est tirée d'un rapport présenté au Secrétariat du Comnonwealth sur la possibilité d'employer des techniques de représentation des correspondances pour donner aux utilisateurs une meilleure notion du contente que ne le font les classifications arbitraires par catégories des thésaurus, insensibles aux relations fonctionnelles existant entre les phénomènes catégorisés. (La nature et la société ne sont pas plus subdivisées sur la base de ces catégories qu'elles ne le sont sur celles des facultés universitaires.)
"Nous pensons que les difficultés rencontrées aujourd'hui dans le domaine de l'apprentissage proviennent, peur beaucoup, de ce que les contextes sont négligés ... L'apprentissage novateur ne peut se contenter d'assimiler une donnée d'entrée, qui donnera une donnée de sortie; pas plus qu'il ne peut limiter ses fonctions à relier les valeurs aux objects. Afin de développer, chez l'homme, la capacité d'agir dans ces situations nouvelles et de faire face à des événements inhabituels, l'apprentissage novateur nécessite l'absorption de grandes collections de contextes. Lorsque ces contextes sont limités, on voit s'accroître la probabilité de l'apprentissage par le choc, car cet apprentissage peut être conçu comme un événement soudain, survenant en dehors des contextes connus. L'une des tâches de l'apprentissage novateur consiste donc à augmenter l'aptitude de l'individu à trouver, absorber et créer des contextes nouveaux - en bref, à enrichir l'offre de contextes. Si l'offre existante ne peut fournir l'analogie nécessaire pour traiter des événements nouveaux ou inattendus, nous devons alors créer la capacité de construire les cadres mentaux de remplacement qui conviennent". (5, pp. 23-24).
Ce qui nous ramène à ce qu'a dit l'Ambassadeur Soedjatmoko, Recteur de l'Université des Nations Unies :
D'ou sont intérêt pour la capacité d'apprendre des nations."Notre incapacité à appréhender complètenent ce qui no-us arrive dans ce monde en évolution, malgré la pléthore d'informations dont nous disposons, est en partie due à l'inadéquation opérationnelle ces cadres conceptuels actuels. Il nous faudrait presque un nouveau langage et nous aurions assurément besoin de nouveaux concepts qui nous permettraient de choisir, synthétiser et conceptualiser la totalité des conséquences et l'importance, pour l'homme, des obstacles auxquels nous no-us heurtons, des changements que nous subissons, et des moyens que nous choisirons pour résoudre ces problèmes". (3}
E.1. Nature de la mémoire collective
Il n'y a pas apprentissage en dehors de la mémoire, qu'il s'agisse de l'individu ou de la société.
"Le fait que les expériences influent surle comportement ultérieur est la preuve de cette activité évidente mais néanmoins remarquable qu'est le souvenir. Il ne serait pas possible d'apprendre sans cette fonction qu'on appelle communément la mémoire... Un comportement dit intelligent requiert la mémoire, le souvenir étant un préalable au raisonnement. L'aptitude à résoudre un problème quelconque, ou même à reconnaître son existence, dépend de la mémoire" (l7).
Qu'est-ce donc que la mémoire sociétale ? Quelle est sa relation avec le système de documentation internationale ?
Ainsi que le note Toffler (6, p. 192), la "mémoire sociale" était autrefois enregistrée dans l'esprit des individus en tant qu'histoire, mythes, traditions et légendes, et transmise ... à leurs enfants par l'intermédiaire de la parole, des chansons, des mélopées et de l'exemple... toute l'expérience accumulée par le groupe était emmagasinée dans les neurones, les gliomes et les synapses des êtres humains". C'est encore le cas de nombreux pays et groupes de la société. Mais les anthropologues ne semblent pas avoir étudié la "mémoire populaire" ou la "mémoire culturelle" en tant que telle. Ils s'attachent aux traditions en tant que "valeurs, croyances, règles, et modes de comportement communs à un groupe et transmis de génération en génération, dans le cadre du processus de socialisation" (16). Cette tradition orale a été largement remplacée par une tradition fondée sur des textes.
Les biologistes ont, de leur côté, admis en principe une "noosphère". "Le siècle des lumières écologiques a introduit un terme nouveau, l'écosphère, qui implique une responsabilité dans la gestion de la Terre. Au-delà de ces sphères, et superposée à elles, se trouve une autre sphère dimensionnelle, la noosphère, enveloppe symbolique de la pensée conceptuelle, ou des impulsions réfléchissantes produites par l'esprit humain... Il n'est évidemment pas possible de la mesurer scientifiquement, mais sa présence est fortement ressentie et son influence est partout" (17). Le concept a été formulé pour la première fois par Vladimir Verdanaky et affiné par Pierre Teilhard de Chardin. Cette approche n'est pas arée sur la mémoire. Pourtant, comme le fait remarquer un biologiste:
"Bien que nous soyons, à tous les égards, les plus sociaux de tous les animaux sociaux - plus interdépendants, plus attachés les uns aux autres, plus inséparables dans notre comportement que les abeilles - nous ne percevons pas souvent notre intelligence conjointe. Pourtant, nous sommés peut-être reliés dans des circuits pour le stockage, le traitement, et la recherche de l'information, puisque cela semble être la plus fondamentale et la plus universelle de toutes les entreprises humaines". (l7a, p. 14).
La philosophie grecque classique a élaboré le concept de l'âme du monde, qui a été apparenté à la mémoire. On a toutefois accordé peu d'attention aux recherches philosophiques récentes portant sur l'esprit social, conçu comme une "synthèse des esprits individuels dans des ensembles avec des esprits nouveaux" (18). C'est aussi le cas de l'esprit de groupe, appliqué à l*esprit et au caractère national (19). Les psychologues peuvent se référer à "la connaissance partagée sur le plan culturel... bien que ... ce soit une pure idéalisation ... à ne pas confondre avec la réalité" (6, p. 9). Les chercheurs peuvent néanmoins se référer au "réservoir des connaissances humaines, qui donne au groupe, à la collectivité un pouvoir nettement supérieur à celui qu'un seul individu peut exercer" (20).
Le concept d'esprit du groupe a été analysé et rejeté par les sociologues à propos de l'opinion publique. Elle est un ensemble d'opinions individuelles concernant un problème d'intérêt public. On estime que ses caractéristiques font d'elle quelque chose de plus que la somme des opinions individuelles sur un problème donné. Sa fonction de mémoire sociale ne semble pas avoir été explorée. Le concept de conscience collective, créé par Emile Durkheim, est dérivé de la volonté générale de Rousseau et du consensus de Comte. Mais il y a, une fois encore, peu de rapport avec la mémoire, bien que le concept de Jung relatif aux archétypes de l'inconscience collective y soit étroitement lié. La distinction entre conscience et inconscience peut ne pas être importante en ce qui concerne la mémoire.
"Un modèle quelconque peut être conscient ou inconscient, cette condition n'affecte pas sa nature. Il est seulement possible de dire qu'une structure superficiellement enfouie dans l'inconscient rend plus probable l'existence d'un modèle qui la masque, comme un écran, à la conscience collective. En effet, les modèles conscients - qu'on appelle communément des 'normes' - comptent parmi les plus pauvres qui soient, en raison de leur fonction qui est de perpétuer les croyances et les usages, plutôt que d'en exposer les ressorts." Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 309.
Les éducateurs, du moins selon l'Encyclopédie de l'éducation (20), ne semblent pas être intéressés par la mémoire sociale, ou même l'apprentissage social en soi. Lesprogrammes destinés à favoriser la compréhension internationale, tels ceux de l'UNESCO, n'élucident aucun des aspects de la mémoire sociale, même s'ils assurent la diffusion des traditions culturelles. Le nouveau programme de l'UNESCO sur le patrimoine culturel n'a aucun rapport explicite avec la mémoire. L'emploi récent de l'expression "conscience planétaire" par de nombreux autres groupes (29) ne concerne aucune des fonctions de la mémoire.
On peut s'attendre que l'intérêt pour la mémoire sociale se dégagera de façon plus nette dans la classification des connaissances depuis Aristote, en passant pas Juan Huartl, Francis Bacon, Diderot, jusqu'à Dewey et Otlet et leurs successeurs (22, 23). Or, bien que ces classifications soient effectivement des tentatives pour imposer une certaine organisation à la mémoire sociale, leurs auteurs ne paraissent pas intéressés par la nature de cette mémoire. Ainsi, malgré l'existence d'une étude des classifications dans leur contexte social (24), on trouvera peu de renseignements sur l'impact social des schémas de classification. Une matière comme l'histoire des idées n'a pas de rapport avec la nature de la mémoire collective. L'importance de tels impacts est, cependant, illustrée par Jacques Attali à propos des styles d'expression musicale, conçus comme des systèmes de codage reflétant les structures sociales et annonçant des structures nouvelles (25). Toutefois, il n'examine aucune des fonctions mnémoniques.
De toute évidence, la mémoire sociale est un phénomène difficile à saisir et mal exploré. Au lieu d'essayer d'en préciser la nature en tant que phénomène psycho-social, on peut orienter la recherche vers les dépositaires des souvenirs de la société. Avec ce déplacement on n'a plus besoin de chercher comment les sociétés intériorisent les connaissances enregistrées et on se concentre sur la manière dont elles peuvent être matériellement enregistrées et diffusées. Toutefois, ce n'est pas en se bornant à enregistrer et à diffuser des connaissances que l'on parvient à l'apprentissage sociétal. Les connaissances doivent être "absorbées" par la société. La façon dont l'apprentissage sociétal (ou l'apprentissage de groupe) se fait reste obscure, comme le souligne le rapport du Club de Rome.
Avant d'examiner les systèmes modernes, il importe de souligner le rôle des encyclopédies comme dépositaires des connaissances. A l'origine, elles étaient souvent conçues comme des "miroirs" des connaissances humaines - ce qui étaye la distinction précitée. Mais au cours de ces dernières années, des encyclopédies conçues du point de vue national ou ethnique ont été délibérément créées pour donner une orientation à la conscience sociale. On a aussi délibérément cherché à dépasser le stade du rôle traditionnelle de la bibliothèque et des musées - par exemple avec le Kundaneum de Paul Otlet qui contenait 17 millions d'articles (26). C'est avec le "cerveau universel" proposé par H.G. Wells que l'incidence sociale de ces travaux est apparue sous sa forme la plus frappante (27). Avec l'événement des ordinateurs, ce concept a été affiné sous l'impulsion d'informaticiens comme Manfred Kochen (28), Harry Schwarzlander (29) et D. Soergel (50), que le Groupe de l'esprit universel (World Mind Group) met en relation (8).
De nos jours, la réalité est cependant représentée par une multitude de systèmes d'information, qu'ils soient nationaux ou internationaux, spécialisés ou généraux, informatisés ou non, et quel que soit le degré de liaison des réseaux de données (31, 52). Dans ce contexte, l'intérêt porté à la mémoire sociale se ramène à une préoccupation qui concerne la mémoire de l'ordinateur et la puissance de traitement.
L'étude de l'apprentissage sociétal nous conduit à soulever un problème important, celui de "l'utilisateur collectif", dont les besoins sont manifestement un peu différents de ceux de l'utilisateur-apprenti. Comment apprend l'utilisateur collectif? Ce problème relève de la "capacité d'apprendre des nations" (5) et de l'apprentissage par les institutions internationales, éventuellement par le moyen de leur système de documentation internationale.
Si nous n'avons pu, dans la section précédente, élucider la façon dont le savoir est intériorisé par la société, on trouve néanmoins dans le rapport du Club de des précisions sur le processus.
Notre survivance est la preuve que l'humanité apprend effectivement... Aussi devons-nous réexaminer le sens de l'énoncé "l'humanité apprend". Cette affirmation n'implique-t-elle pas - n'exige-t-elle pas - que l'apprentissage se fasse en temps voulu et à une échelle suffisamment grande non seulement pour prévenir les catastrophes, mais aussi pour que ce siècle, tellement traumatisé par des folies successives, s'achève avec davantage de paix, de dignité et de bonheur?" (5, p. 188)
Le rapport souligne ce qui suit :
"Dans la conception classique, souvent inexprimée, de la façon d'appprendre des sociétés le point de départ est généralement un ou plusieurs centres de compétences groupées, d'où émanent des découvertes, théories, croyances, et solutions nouvelles. Les innovations sont ensuite diffusées dans des milieux plus larges et dans le grand public. Dans ce modèle d'apprentissage sociétal, il y a deux stades. Le premier est celui d'une innovation qui rompt avec le passé; l'autre est celui de la diffusion, qui le fait moins. Les rôles des individus dans ce processus sont, eux aussi, différents: les uns inventent et les autres assimilent. Le rôle de la société, dans son ensemble, se ramène à s'adapter aux découvertes et aux connaissances issues des centres de compétence et à les utiliser. On constate aisément que cette conception privilégie l'enseignement au détriment de l'apprentissage. Ainsi conçu, l'apprentissage sociétal a pour conséquence inéluctable l'élitisme, la technocratie et le paternalisme. On omet une chose: que signification et valeurs - décisives pour l'apprentissage - sont le produit de la société dans son ensemble, non des centres spécialisés. Malgré tous leurs avantages techniques, leurs corps de connaissances, leurs technologies, leur savoir-faire et leurs théories, ces centres ont leurs lacunes - ils sont trop souvent coupés du contexte social. Ils se perpétuent selon la logique interne qui leur est propre. Si l'apprentissage sociétal comprend une si grande part d'enseignement d'entretien, c'est parce que ces centres évoluent de façon autonome et en se perpétuant. L'apprentissage sociétal novateur cherche à rétablir l'apprentissage actif des individus que la société cantonne traditionnellement dans un rôle passif d'assimilation. Pour atteindre cet objectif, il faut une participation qui dépasse la simple invitation à accepter des produits donnés. Afin de favoriser l'apprentissage sociétal novateur, une participation authentique doit permettre aux individus d'ouvrir et d'inspecter les "boîtes noires" des connaissances, de s'interroger sur leur pertinence et leur signification, et de les remodeler, les recombiner et les reclasser quand il y a lieu. Par participation réelle on n'étend pas être à l'écoute de ceux dont on sous-estimait autrefois l'importance, nais tien assurer un apport réel de la société tout entière" (5, p. 80-81).
Toutefois, le rapport établit à un autre endroit une distinction entre la nécessité et la possibilité d'accélérer les processus d'apprentissage des décideurs, à tous les niveaux de l'enseignement institutionnel, d'une part, et la nécessité tout aussi urgente, mais source de plus grande difficulté, de promouvoir les processus plus généraux et plus lents de l'apprentissage sociétal ou "public", d'autre part (5, p. 127).
Dans l'étude de l'utilisation des systèmes de documentation internationale, il serait bien sûr commode de se concentrer entièrement sur le premier type de processus. Toutefois, le rapport explique que les deux types doivent avancer de concert, sans quoi les décideurs seraient incapables de communiquer efficacement avec le public.
D'après le paragraphe précédent, en risque de supposer à tort que, dans les deux cas, il s'agit encore uniquement d'un problème d'apprentissage individuel. Dans des observations élogieuses sur le rapport du Club de Rome (3, p. 138 et 139), le Directeur général adjoint de l'UNESCO se réfère au concept de "cité éducative" qui semble viser l'apprentissage de l'individu, tout au long de sa vie (33, pp. 160-164, 162, 263). Cependant le rapport du Club de Rome formule clairement que l'apprentissage collectif/sociëtal ("macro-apprentissage") doit être opposé á l'apprentissage individuel ("micro-apprentissage").
"Un gros travail de recherche a été consacré aux processus de l'apprentissage individuel; apprentissage sociétal, en groupe, en association n'a guère été étudié. Il s'agit manifestement d'un domaine de recherche nouveau." (5, p. 137)
Le ton pressant de ce rapport et l'absence d'autres informations placent les responsables des systèmes de documentation internationale dans une situation embarrassante. Ils ont, de toute évidence, un rôle clé dans un processus fondamental, sur lequel nous sommes très mal renseignés. D'après les observations qui précèdent, il semblerait en outre que ces responsables soient à même de contribuer surtout à l'apprentissage d'entretien, en raison de la conception habituelle que nous avons de leur fonction et de la définition que nous y donnons généralement.
Etant donné les délais nécessaires pour la réalisation des recherches appropriées, que peut-on faire aujourd'hui pour mieux connaître les obstacles à l'apprentissage sociétal, afin de déterminer le rôle de ces systèmes de documentation?
Il convient ici de se demander de nouveau s'il n'y a "aucune borne à l'éducation". On a signalé ci-dessus certaines limites pour l'utilisateur-apprenti . On pourrait avancer que ces limites tiennent à la relation peu étroite qui existe entre l'élève et le corps de connaissances, tandis que l'élève a une aptitude illimitée (sauf en cas de décès) à participer de façon continue au processus d'apprentissage; en d'autres termes, il peut toujours augmenter ses connaissances, si lent que soit le rythme auquel il apprend ou réapprend.Il est plus facile de soutenir que la capacité d'apprendre de la société est illimitée, surtout si l'on suppose que les individus qui composent la société se concentrent chacun sur des fragments du corps de connaissances qui se chevauchent. Il y a lieu de croire que cet énoncé ne désigne pas seulement cette notion banale: la société peut toujours apprendre quelque chose de plus. Des énoncés aussi optimistes sont dangereux car ils détournent l'attention de la nature des obstacles à l'apprentissage sociétal, obstacles qui ont empêché la société de réagir avec une maturité et une perspicacité plus grandes face aux crises qu'elle doit aujourd'hui affronter. Le rapport du Club de Rome cite le cas de l'accroissement de l'analphabétisme dans le monde pour illustrer le gaspillage potentiel humain d'apprentissage. En 1980, 820 millions d'individus sont encore analphabètes, soit 20%de la population mondiale, après plusieurs décennies de mise en oeuvre des programmes d'alphabétisation de l'UNESCO. Cela montre, qu'en pratique, il y a une limitation à toute possibilité théorique d'apprentissage. Il importe d'explorer ces limites avant ce lancer de nouveaux programmes éducatifs (34, 35). Connaître quelles sont ces limites aide à redéfinir le type d'apprentissage qui est maintenant essentiel et qui nécessite le soutien des systèmes de documentation internationale.
a. Limite quantitative: De même qu'un individu ne peut absorber la totalité des informations, il est improbable qu'un groupe puisse y parvenir, même en répartissant la tâche entre ses membres. Ce que l'on peut faire en pratique, c'est consacrer du temps et des ressources, dans des proportions limitées, à l'absorption et à la diffusion de l'information, une grande partie de l'information circule sans être enregistrée ou ne peut être diffusée. De plus, beaucoup d'information sont détruites au bout d'un certain temps. Les entreprises multinationales, par exemple, détruisent délibérément la plupart de leurs archives après plusieurs années. Dans une grande mesure, nous vivons dans une société qui oublie. Beaucoup d'informations perdent rapidement de leur intérêt notamment dans les disciplines qui progressent rapidement. On a déploré que les observations initiales sur lesquelles sont foncés la plupart des documents scientifiques soient détruites. Lorsqu'on étudie l'évolution de la mémoire, il est utile d'envisager ce qui se passerait si les souvenirs ne s'effaçaient pas. L'oubli contribue manifestement à s'orienter dans le temps; les vieux souvenirs s'estompant et les récents ayant tendance à être vivaces, nous avons les indices nécessaires pour saisir la notion du durée. Sans l'oubli, la faculté d'adaptation pâtirait; par exemple, un comportement appris qui convenait peut-être il y a dix ans, peut ne plus convenir aujourd'hui... Ainsi, l'oubli semble favoriser la survie de l'individu et celle de l'espèce". (l7)
Comme les individus, les groupes peuvent être soumis à une surcharge d'inforicatrions. Il n'est pas possible que certains pays ou certaines institutions puissent absorber le volume d'informations jugé pertinent par leurs contreparties les mieux équipées. C'est là un aspect du problème du transfert du savoir-faire. L'aptitude ces groupes à poursuivre leur apprentissage est "illimitée", mais le rythme auquel ils peuvent le faire reste "limité". Lorsqu'on compare le taux de croissance de la production des connaissances avec le taux d'accroissement de la population, on voit apparaître un autre aspect intéressant de ce problème. Chaque progrès dans la connaissance nous rend conscient de ce qui reste à découvrir.
"le savoir n'occupe qu'un étang mais notre ignorance remplit un océan. eneffet, l'horizon de l'inconnu recule à mesure que nous en approchons". (The Encyclopedia of Ignorance, New York, 1977, p.IX). "Toute bribe d'information nouvelle acquise, par exemple, pose de nombreuses questions nouvelles, et chaque nouvelle parcelle d'information fait naître cinq ou dix questions nouvelles, lesquelles s'amoncellent à un rythme beaucoup plus rapide que ne le fait l'information accumulée. Ainsi donc, plus on connaît de choses, plus il en reste à connaître". (Itzhak Bentov, Stalking theWild Pendulum, New York, 1977, p. l).
Cependant,de façon encore peut-être plus significative, chaque "unité de connaissance" procuite devient de plus en plus difficile à diffuser par le processus d'apprentissage en raison de la "concurrence"accrue (s'exerçant sur le temps de concentration) des autres unités à apprendre. Dans ces conditions, on a intérêt à voir dans chaque unité produite un accroissement de l'ignorance des personnes qui sont incapables de l'absorber (pour quelque raison que ce soit). La production de connaissances nouvelles pour certains ne va donc pas sans réduire d'autres à une plus grande ignorance.
Le volume d'ignorance ainsi "produite" augmente beaucoup plus vite que la production de connaissances, en raison de l'incidence de l'accroissement démographique. Chaque document ("significatif") qui pénètre dans le système international, accroît l'ignorance de ceux qui ne parviennent pas à l'absorber. On peut se demander à quel moment le rapport ignorance/connaissance de la société sera de nature à rendre inapplicable une décision prise à bon escient, par suite de l'ignorance de ceux dont on a besoin pour l'appuyer dans un processus démocratique. Or, étant donné sa prédominance (et l'impossibilité de l'éliminer) ne serait-il pas plus créatif d'étudier l'ignorance dans l'espoir de découvrir des particularités permettant de l'envisager et de l'utiliser comme une ressource. (Si un homme possédait la totalité des connaissances, et si l'ignorance n'existait pas, cet homme se consumerait et cesserait d'exister. L'ignorance est donc souhaitable, parce qu'elle permet à l'homme de continuer à exister..." (Jalaluddin Rumi. Discours)). Par exemple, en raison du "caractère délimité" qui lui est propre, elle pourrait vraisemblablement permettre de saisir comment la société se structure en de nombreux types de "cellules d'information", reliées par une multitude de réseaux d'information. La question se pose de savoir comment les groupes et les individus peuvent apprendre à tirer profit de leur état d'ignorance:
... et je fus immédiatement frappé par la qualité nécessaire pour qu'un homme soit créateur, notamment en littérature, qualité que Shakespeare possédait si éminemment - j'entends ici l'aptitude négative, c'est-à-dire la situation dans laquelle un homme est capable de se trouver dans l'incertitude, le mystère ou le doute sans que la recherche des faits et de la cause vienne l'irriter." (John Keats, Lettre 21 décembre 1817).
"Cet article avait pour objectif de montrer qu'en physique, nos meilleures théories sont celles qui laissent explicitement une place à l'inconnu, tout en la limitant suffisamment pour que la théorie soit empiriquement réfutable". (Otto Frisch, In: Encyclopedia of Ignorance, New York, 1977, p. 8).
b) Limite de l'interconnexion: En supposant que la tâche de l'apprentissage sociétal puisse être répartie entre les secteurs appropriés de la société, il s'agit de savoir si ces "unités éducatives" peuvent être reliées de manière que l'apprentissage soit à même d'orienter les décisions de l'ensemble.
Si l'on admet que le savoir peut être efficacement projeté dans des documents, il s'agit alors seulement de s'assurer que les systèmes de documentation utilisés par les unités éducatives sont interconnectés. Nous touchons là un problème de connexion matérielle (c'est-à-dire, par l'intermédiaire de réseaux de données) et de connexion logique et fonctionnelle entre les documents et leur contenu. De grands progrès sont réalisés dans ce domaine. Mais il est bien évident que nous sommes encore loin de répondre aux exigences de l'apprentissage collectif - même et surtout dans le casdes institutions intergouvemementales de la famille des Hâtions Unies. Là, l'échec indique l'existence d'une limite précise dont on doit se souvenir.
Si, au contraire, on admet que le savoir ne peut être projeté dans des documents (mais n'est utilisable ou "rendu actif" qu'après avoir été efficacement "absorbé" par un ou plusieurs individus), il faut alors s'assurer que ces individus (ou groupe) "amorcés" sont reliés de façon appropriée, et éventuellement soutenus par une information documentaire stockée dans des bases de données. Ici encore des progrès sont réalisés grâce à l'apparition rapide des systèmes informatisés de conférence (7, 26, 37). Cependant, en dépit de leur succès, ces systèmes servent seulement à faire ressortir l'existence d'une limite à la possibilité détablir des connexions fonctionnelles entre les unités de connaissance (12, 38) et entre les personnes ainsi reliées (39). Bien plus encore que ne l'est le téléphone, ces systèmes ne sont, en outre, accessibles qu'aux privilégiés. Quelle que soit l'ampleur de leur expansion dans les pays industrialisés, l'accès en sera très limité dans les pays en développement. Si l'on avance qu'une interconnexion directe aussi poussée n'est pas indispensable pour tout le monde, il y a discontinuité dans la dynamique, au détriment de ceux qui ne peuvent être atteints que par courrier (ou bien de façon unilatérale par l'intermédiaire des moyens de communication de masse). Cette "déconnexion" est perçue de part et d'autre comme un grave déphasage, qui nuit d'emblée au dynamisme du processus d'apprentissage et de son utilisation.
c) Limite au champ de la compréhension collective : Si l'on admet aussi que la tâche de l'apprentissage sociétal peut être répartie entre les secteurs de la société, "connectés de façon appropriée", il s'agit alors de savoir si le champ de la compréhension collective de tout groupe habilite a agir en se fondant sur cet apprentissage correspond à la gamme des éléments dont relève son action. Comme pour l'individu, il existe une limite au nombre des domaines de la connaissance (même s'ils sont "prédigérés") qu'un groupe peut manier de façon conceptuelle comme un tout intelligible. Consciemment ou non, la plupart des groupes ont acquis une grande compétence dans la "dissimulation des facteurs gênants derrière un rideau conceptuel commode", afin de donner l'impression qu'ils maîtrisent une situation. La société pourrait vraisemblablement atteindre le stade où elle refoulerait ainsi un plus grand nombre d'éléments de connaissance gênants qu'elle n'en traiterait réellement. On a tu précédemment que le rapport du Club de Rome met l'accent sur la totale inadéquation des aptitudes actuelles d'intégration. Pourquoi ? Quels sont les obstacles à l'intégration conceptuelle ? C'est seulement en s'attaquant à la nature de cette limite que l'on peut concevoir des systèmes d'information qui compensent l'incidence de "l'instinct refoulant".
L'un des aspects de ce problème réside dans la vocation absolue des systèmes d'information de présenter à l'utilisateur-apprenti l'information structurée de façon linéaire (par exemple des listes de termes). On aboutit alors à la conceptualisation linéaire des problèmes (points d'un ordre du jour). L'appréaension de domaines complexes requiert une présentation non linéaire de l'information (15). Considérons la valeur relative, comme outil de décision, d'une liste de stations de métro par rapport à un plan du réseau métropolitain. Les deux sont utiles, mais la liste est presque inutile sans le plan. Cette présentation peut comporter des images structurées, bien que le rapport du Club de Rome préconise vivement l'utilisation d'images au sens général :
"Les images, dont l'importance éducative n'est pas moindre, ont été négligées par les sociétés et les sciences tournées vers les spéculations rationnelles et les déductions faites à partir de lois opérationnelles ... Pourtant, nous ne pouvons sous-estimer les avantages des images pour la perception globale et l'accès immédiat ... En effet, les images font naître des opérations au tréfonds de notre esprit, grâce à quoi nous produisons une proposition générale sur la base d'un nombre limité de propositions particulières. Les images engendrent également l'intuition ... Le fait que les images collectives existent - et que les perceptions peuvent être partagées - lie l'apprentissage sociétal à l'apprentissage individuel. C'est la minimisation des images dans l'apprentissage d'entretien qui tend à atténuer les interconnexions." (5, pages 41-42)**
Il convient de souligner que le programme de développement humain et social de l'Université des Nations Unies comporte un sous-projet relatif à d'autres "formes de présentation des résultats" que la présentation classique sous forme de texte. L'énorme investissement intellectuel et financier dans le matériel et le logiciel des systèmes d'information non orientés vers l'image rend improbable la création d'une liaison utile avec les systèmes de traitement d'images (y compris les dispositifs de génération de cartes (15)). On pourrait fort bien concevoir des systèmes parallèles qui fragmenteraient une approche qui devrait être globale. (Signalons à quel point les photothèques sont totalement séparées, sur le plan conceptuel, des systèmes d'information documentaires, "plus sérieux", des institutions internationales. Cette situation est aggravée par une limite connexe (examinée ci-après) qui a trait aux erreurs systématiques des différentes formes d'information.
L'autre aspect du problème de le conception est le suivant: on admet aujourd'hui qu'il est peu judicieux d'élaborer des systèmes d'information indépendamment des groupes et des institutions qui les utiliseront. L'interface homme/machine est devenue un facteur si critique qu'il est maintenant fondamental d'envisager une conception "associationnelle" de groupe, complément nécessaire à la conception matérielle et logicielle. La compréhension associationnelle, des problèmes complexes peut très bien appeler la "reconfiguration" d'un groupe d'utilisateurs pour que soit comprise la structure de l'information disponible (12,38). Les systèmes d'information devraient faciliter ce processus mais, jusqu'à présent, on ne conçoit aucune souplesse de ce type. La gravité de cette situation resaort particulièrement de la difficulté des grandes conférences à s'organiser sous forme de groupes ordonnant l'information (documentaire) à leur disposition pour la focaliser sur des ensembles de problèmes (40).
d) Limite à la profondeur de la compréhension collective: A la limite précédente il y a deux réactions classiques extrêmes: d'une part, l'effort pour "survoler" le problème, en négligeant les détails et, d'autre part, la tendance - très en faveur - à se concentrer sur un problème "pratique et extrêmement spécifique", en oubliant le reste, afin de réaliser un "progrès concret" et de "parvenir à des résultats". On n'a pas encore conçu de système d'information pour stabiliser le glissement de la focalisation vers l'associationnel entre les différents niveaux - même s'ils sont censés correspondre à la hiérarchie des catégories de disciplines selon lesquelles les documents sont organisée. Comme l'individu, un groupe a du mal à se concentrer sur un niveau donné pour avoir à l'esprit plus que le niveau plus général qui suit et le niveau plus étroit qui précède. Lorsque les niveaux pertinents sont nombreux, beaucoup doivent rester hors du champ de concentration. Et, dans la dynamique des programmes pratiques de la prise de décisions de politique, les niveaux deviennent indépendants, du fait surtout qu'ils se prêtent, à la création de domaines réservés à des groupes. Les groupes peuvent parfaitement créer leurs propres systèmes d'information qui justifient et renforcent leur indépendance. Inutile de dire que ces divisions sont une limite importante à l'enseignement novateur.
On peut donner une nuance légèrement différente au terme "profondeur", à savoir celle qui est associée au concept, souvent laissé de côté, de maturité on de "sagesse". Les phénomènes qui restreignent la manifestation de la sagesse collective sont loin d'être évidents. Il est pourtant très clair que cette manifestation est très limitée. Il s'agit de savoir si des systèmes d'information peuvent être conçus et utilisés pour favoriser l'apparition de cette manifestation, en respectant les limites à la compréhension, inhérentes à une sagesse moins grande (12).
e) Limitations prélogigues: Dire que les systèmes de documentation internationale sont conçus pour permettre une prise de décision rationnelle est commode. Harold Lasswell écrit par exemple :
"Pourquoi insistons-nous à ce point sur les moyens audio-visuels de description d'un objectif, d'une tendance, d'une situation, d'une projection, et d'une variante ? C'est en partie parce qu'un si grand nombre de personnes éminentes participant à la prise de décisions ont une imagination scénique ... Ce ne sont pas des passionnés des nombres ou des abstractions de l'analyse. Ils sont le plus à l'aise dans les débats qui privilégient le contexte par toute une gamme de moyens, etoù l'on garde une notion immédiate du temps, de l'espace et des chiffres". (4l)
Cette insistance sur l'aspect scénique ne révèle probablement "que la partie émergée de l'iceberg". D'une part, nombreux sont ceux qui utilisent des éléments du système de documentation internationale à l'appui de positions prélogiques qui sont totalement infirmées par d'autres documents (qui ne sont pas cités, même s'ils ont été consultés). Cela fait partie de la "pièce" qui se Joue sur la scène politique, et c'est accepté comme tel. Beaucoup ne réagissent qu'à des présentations orales immédiates, ou aux arguments "scientifiquement fondés", ou encore aux arguments d'une délégation très influente. D'autres sont sensibles, ou insensibles au style de la présentation, au fait qu'il met l'accent sur l'ordre/le désordre, le statique/le dynamique, la continuité/la discontinuité, la spontanéité/le processus, etc. (11). D'autre part - et c'est plus important - beaucoup de personnes (à tous les niveaux d'instruction) sont totalement indifférentes à tout le processus que le système de documentation internationale a mission d'aider. Pour eux, ces documents ne contiennent aucune information significative. Un groupe important est celui des personnes pour lequel la communauté internationale est formée par les vedettes de la musique de la chanson populaire. Pourtant, peut-être de façon paradoxale, c'est la préférence de ces personnes pour le rythme, la mélodie et l'harmonie qui fournit des indices précieux concernant une approche moins "monotone" pour d'autres avenirs du monde. (14)
Ce sont eux qui sont totalement indifférents aux efforts visant à "créer une volonté politique" de changement par la "mobilisation de l'opinion publique" (5l). On ne s'étonne pas que le Secrétaire général des Nations Unies fasse observer ce qui suit :
"Il serait sans doute injuste d'en conclure à une "brusque insensibilité de l'opinion publique dans les pays développés. Elle se barricade plutôt contre des généralisations qui lui paraissent usées parce qu'on en a abusé (52) ."
Le concept d'un "régime d'alimentation en informations" est peut-être pertinent. Les individus et les groupes ne s'épanouissent pas avec une information d'un seul type. Il faut une alimentation équilibrée. Il pourrait également s'appliquer aux utilisateurs d'un système de documentation internationale. L'utilité de ces comparaisons est illustrée par celle qu'établit le Club de Rome au sujet de l'assimilation de l'information: "on peut dire que les valeurs sont les enzymes de tout processus d'apprentissage novateur" (5). Bien que l'on connaisse mal la façon dont cette limite prélogique agit sur l'information, on peut dire que la réceptivité à certaines formes d'information signifie seulement qu'il existe une limite à l'ampleur des connaissances qu'un individu ou un groupe peut tirer de l'information se présentant sous d'autres formes, il s'agit non pas uniquement d'un problème de "présentations par plusieurs médias" mais des orientations prélogiques inhérentes à toute forme d'information donnée. Il s'agit de savoir consent ces orientations se complètent et ce que cette limite implique pour les systèmes d'information visant à la communication ce vues entre utilisateurs de chaque orientation.
f) Limite à la jurée de la concentration collective: L'une des caractéristiques bien connues de la société est son incapacité à concentrer son attention collective sur une situation pendant un certain temps. Même les événements les plus dramatiques ne font pas longtemps la une des journaux: ils tombent dans l'oubli après quelques jours. Ces "quelques jours" sont certes, plus caractéristiques de la durée de l'attention polarisée par l'intermédiaire des moyens de communication de masse. Toutefois, les "problèmes" portés à l'attention des conférences internationales peuvent ne rester d'actualité que pendant un certain nombre de semaines ou de mois et les problèmes "d'une actualité brûlante", alimentant une discussion tendue peuvent même être débattus en quelques heures. Les problèmes qui survivent à une législature (quatre ans) et dont l'institutionnalisation en fait un centre d'intérêt constant sont peut-être d'une importance plus grande vraisemblablement par la création de documents spéciaux et d'un système d'information spécialisé. A cet égard, le système de documentation internationale rencontre une difficulté particulière (et, par conséquent, les utilisateurs aussi): il s'agit de la période pendant laquelle une catégorie est contrainte (pour un certain temps) d'avoir la signification de concepts déjà abandonnés, pour ensuite se dénaturer, et finalement "disparaitre". Peut-être convient-il d'envisager la "démi-vie" des concepts "actifs", par analogie avec celle des éléments radio-actifs.
On trouve une bonne illustration de ce processus dans l'analyse désabusée que fait Johan Galtung de la "carrière des concepts" au sein du système de l'ONU, entendant far là que les concepts ont une carrière faite d'étapes ou de phases, en d'autres termes un cycle de vie, et que les concepts peuvent passer d'une organisation à l'autre. Ce cycle de vie se présente ainsi :
Néanmoins, tout concept laisse une trace derrière lui, qui est plus grande que ne voudraient le croire ses détracteurs, et moins grande que ses défenseurs ne l'auraient espéré. Si tel n'était pas le cas, le cadre cognitif du système n'aurait subi aucun changement pendant les 35 années de son existence". (55)
Cette limite se caractérise essentiellement par son caractère dynamique. En un sens, peut-être faut-il déplorer de ne pouvoir concentrer l'attention collective suffisamment longtemps pour susciter une action efficace (40), nais, par ailleurs, l'attention se déplace quand le problème traité ne répond plus aux besoins de dynamisme - mal compris - de la communauté internationale (on "consomme" des problèmes pour alimenter la dynamique). Or, dans la mesure où le déplacement de l'attention vise la recherche d'un renouvellement novateur, il faut s'en féliciter - surtout puisqu'il fait ressortir d'autres facteurs ou des facteurs complémentaires. Cependant, étant donné ces deux phénomènes opposés, on n'en sait pas assez pour indiquer le moment où un déplacement de l'attention est prématuré (pour ce qui est de la nécessité d'agir) et celui où ce déplacement est nécessaire (quant à la saine dynamique de la société internationale). La problématique planétaire complexe exige une attention soutenue pour appréhender pleinement la dimension du problème ainsi que les déplacements d'attention visant à satisfaire des besoins complémentaires. L'attention est assortie d'une contrainte plus subtile qui tient à ce que le processus de l'attention est supposé pouvoir être totalement "isolé" de la matière sur laquelle l'attention se porte. Cette distinction commode entre observateur et observé, qui est classique pour les sciences taxinomiques, s'avère maintenant douteuse, même dans le cadre de ces sciences (56, 57). Non seulement l'attention est d'une durée limitée, mais le processus peut (et doit vraisemblablement dans une situation d'apprentissage) modifier l'observateur et l'objet observé. En ce sens, l'apprentissage entraîne non pas la "compréhension" conceptuelle d'une chose "fixe", nais plutôt d'un mouvement "conceptuel" à évolution insaisissable, dans lequel les deux partenaires sont modifiés par le processus. L'absence même d'une limitation restreint l'adéquation sociale d'un tel apprentissage.
Les systèmes d'information internationale devraient, de toute évidence, avoir un rôle capital à jouer qui consisterait à focaliser l'attention collective, à maintenir la focalisation et à la déplacer harmonieusement vers d'autres problèmes - eu égard, cela va de soi, aux nombreux problèmes sur lesquels il doit y avoir focalisation simultanée, et aux limites précédentes (*Le terme "focalisation" évoque l'intérêt éventuel d'une recherche sur les systèmes optiques qui fournissent des analogies utiles poux décrire les problèmes et les possibilités (voir 40)) et sans oublier que les temps d'attention différente des utilisateurs doivent être pris en considération de façon adéquate et, d'une certaine manière, "articulés" ensemble. En ce sens, on peut définir le problème en ces termes: la "gestion" de la ressource la plus précieuse de l'humanité, c'est-à-dire le temps d'attention, et surtout le temps d'attention collective focalisée . Il serait intéressant d'élaborer une théorie du développement et du contrôle sociétal en fonction de "l'absorption d'attention" et de son incidence sur le flux d'information et sur l'apprentissage.
g) Limite de la mémoire collective: Dans une section précédente, nous avons examiné certaines indications concernant la nature de la mémoire collective. On sait qu'elle a été très peu étudiée. En vue de stimuler un examen plus poussé, on s'est fondé dans cette section sur des études ayant trait à la mémoire individuelle, dans l'hypothèse qu'il existe un certain degré d'équivalence entre la mémoire individuelle et la mémoire sociétale.
Dans l'étude de la mémoire individuelle, on a tiré beaucoup d'enseignements de son fonctionnement défectueux. N'existe-t-il pas un parallèle frappant entre les nombreuses tentatives du Secrétaire général de l'ONU pour communiquer à la société internationale la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement et le compte rendu fictif suivant, qui décrit une situation analogue dans la communication à un individu ?
"Il était exact de dire qu'il comprenait ce qui se passait. Dire qu'il ne comprenait pas était tout aussi juste. Je m'asseyais et expliquais sans relâche. Il écoutait, les yeux rivés sur mon visage, remuant les lèvres à mesure qu'il se répétait ce que je disais. Il approuvait: oui, il avait saisi. Mais si, quelques minutes plus tard, il n'arrivait de dire quelque chose du même ordre, il se sentait mal à l'aise, menacé. Pourquoi disais-je ceci ? et cela ? Son regard nquiet m'interrogeait: que voulais-je dire ? A ces moments-là, ses questions laissaient croire que je ne lui avais rien appris. Il était comme quelqu'un de drogué ou de commotionné. Pourtant, il semblait absorber véritablement l'information, car il parlait parfois comme si nos connaissances avaient une base commune: c'était comme si une partie de lui-même savait et se rappelait tout ce que je lui avais dit, nais que les autres parties n'en avaient pas entendu un seul mot. Jamais auparavant je n'avais, de façon aussi intense, fait l'expérience - et ne l'ai pas faite depuis - d'être avec une personne et de savoir qu'une partie de cette personne était, à tout moment, en contact permanent avec moi, une partie réelle, vivante et à l'écoute - alors que, la plupart du temps, ce que je disais ne parvenait pas à cet être silencieux et invisible, et que tout ce qu'il disait n'émanait pas souvent de cette partie réelle de lui-même. C'était comme s'il était ligoté et "bâillonné, tandis qu'un être inférieur prenait sa place et parlait pour lui". (Boris Lessign. Re: Colonised Planet-5 Shikasta. 1979, pp. 56-57).
L'inadéquation collective de la société au regard de l'information sur la problématique planétaire donne à penser que de telles aberrations doivent être réexaminées avec soin. La mémoire collective semblerait être exposée à des processus conduisant à son érosion très rapide. Le psychiatre Ronald Laing a fait un compte rendu qui peut être interprété comme une draimatisation du problème de l'apprentissage institutionnel et interinstitutionnel (voir Annexe I). De ce qui précède, il ressort qu'un examen systématique de la pathologie de la mémoire individuelle pourrait faciliter la compréhension des contraintes qui pèsent actuellement sur l'apprentissage sociétal. Certains renseignements sont donnés à l'Annexe 2. Les paragraphes ci-dessus sont centrés sur la mémoire conçue comme la participation active à la conscience collective. Elle s'est révélée être un phénomène insaisissable. On pourrait (comme précédemment) se référer surtout aux systèmes d'information internationale sur lesquels on suppose que cette conscience collective repose (5).La caractéristique la plus frappante de ces systèmes est leur fragmentation, soit parce qu'ils sont presque totalement indépendants l'un de l'autre, soit parce que les catégories ce sujets qu'ils traitent sont différentes.
Bans le premier cas, il y a bien sûr de nombreux essais de liaison de ces systèmes par l'intermédiaire de réseaux de données. Toutefois, pour toute liaison réalisée, il se crée un grand nombre de nouveaux systèmes d'information spécialisés indépendants. Il faut également discerner les liaisons existant entre ces systèmes (qui résolvent probablement le problème de la fragmentation pour l'utilisateur), et les liaisons pour l'accès à ces systèmes par un utilisateur donné, via les réseaux de données (qui renvoient à l'utilisateur la résolution de la fragmentation). Bans l'étude où il traite de l'"envirornnement intelligent", Toffler (6) dit clairement que l'ère du grand ordinateur central est largement révolue. La société se trouve aujourd'hui face à la "répartition" ou décentralisation de la puissance informatique, à un point tel que les bureaux d'une institution pourraient bien constituer et conserver une mémoire locale qu'ils auraient la possibilité de partager avec d'autres services de l'organisation ou du système auxquels elle appartient. Etant donné la crainte largement répandue de la manipulation par le "Big Brother" des systèmes d ' information, il est improbable que l'on fasse beaucoup d'efforts pour encourager ce partage au-delà d'un certain point. Cela restreindra fortement la capacité collective d'apprendre.
Dans le second cas, on compte, "bien sûr, plusieurs tentatives pour améliorer et normaliser la classification des sujets. Mais il y a un problème fondamental: tout schéma de classification est imposé comme une abstraction logique relativement rigide sur un continuum dynamique de sujets. L'hypothèse restrictive de la distinction observateur/observé (56-57) a déjà été examinée. Cependant, il reste un énorme fossé fonctionnel entre les hiérarchies logiques de sujets et le réseau des réalités pratiques. C'est comme si la société dépendait de catégories de sujets organisées dans la mémoire de façon analogue aux règles rigides de l'ordre de bataille au 16ème siècle, alors que la problématique exige une organisation souple de la mémoire, correspondant aux structures mouvantes de la guérilla moderne et des alliances changeantes . L'information relative à l'environnement en fournit un exemple remarquable. Les espèces animales et végétales sont interreliées dans des réseaux alimentaires. La "logique" d'un regroupement systématique (hiérarchique) en espèces, est beaucoup controversée, bien que l'on utilise les espèces comme catégories dans les systèmes d'information. Les polluants se déplacent à travers des réseaux alimentaires, vers des points que la société choisit de percevoir comme des "problèmes", et c'est seulement comme problèmes que les espèces peuvent être incluses dans les systèmes. Pourtant, les systèmes d'information sont organisés selon des catégories "logiques" de polluants et d'espèces (s'ils appartiennent au même système) sans qu'aucune tentative soit faite pour prendre en compte les réseaux alimentaires, par l'intermédiaire desquels les catégories sont reliées dans des écosystèmes et qui donneront naissance à une structure permanente de problèmes. (Arguments avancés par l'auteur à la seconde réunion du réseau Infoterra (ENUE), Koscou, 1979). Il se peut que les exigences incompatibles de l'organisation "hiérarchique" et "réticulaire" de la mémoire ne soient pas satisfaites par les systèmes d'information actuels et que cette impossibilité nécessite une façon de voir entièrement nouvelle (59).
La mémoire collective est, en outre, limitée par une pratique largement répandue, qui consiste à "classer" les documents comme "secrets". L'information est traitée ainsi lorsqu'on l'estime de nature à déclencher un changement que le possesseur de l'information souhaite maîtriser, empêcher ou utiliser à son avantage. Il n'est pas nécessaire d'examiner ici les grands avantages qu'on peut retirer d'une information militaire ou industrielle classée secrète qui serait divulguée (5, p. 54). Bien plus grave est la restriction concernant l'information ("pouvant provoquer la panique dans la population") portant sur la problématique planétaire ou l'incapacité institutionnelle, lorsque seule cette information peut entraîner un apprentissage sociétal novateur rapide, et galvaniser "la volonté politique de changement". Dans ce contexte, nul ne peut prouver qu'il n'existe pas, par exemple, de preuve solide classée secrète pour n'importe quel nombre de phénomènes présents ou futurs plaçant la problématique planétaire sous un éclairage totalement différent. Lire que les systèmes d'information ouverts fournissent des documents d'une importance qui n'est pas négligeable est une hypothèse fragile. Dans le cas d'un individu, le problème des poches secrètes d'information "chargée de signification", est naturellement un phénomène bien connu des psychanalistes.
Toutefois, il est possible, qu'en définitive, la limite à l'apprentissage sociétal réside dans les conséquences du surengagezient sociétal illimité dans l'apprentissage. Conme l'ont déclaré avec enthousiasme l'UNESCO (33) et le Club de Rome (5), l'apprentissage n'est pas limité par sa relation avec les autres processus sociaux, A la limite on aurait par l'intermédiaire de "l'étudiant étemel", une société vouée à la consommation d'informations et totalement incapable ce polariser cet apprentissage pour agir sur la problématique planétaire, notamment. On en arrive alors à se demander dans quelle mesure les systèmes d'information rendent ou devraient rendre les utilisateurs capables d'agir.
A considérer la méthode fondée sur les listes de mots de la section précédente, il est surprenant que les recherches sur la mémoire individuelle des années 50 et 60, se soient polarisées presque exclusivement sur le rappel des listes de mots. "Nous avons aujourd'hui atteint le stade où les listes de phrases remplacent les listes de mots dans les études de rappel et de reconnaissance. Il faut espérer que le développement ne s'arrêtera pas là et que nous verrons bientôt les psychologues traiter efficacement les problèmes soulevés par l'analyse des textes reliés" (60, p. 2). Pourtant, le même auteur poursuit en ces termes :
"La majeure partie de la recherche expérimentale concernant la mémoire n'a jamais véritablement traité les problèmes de l'acquisition et de la conservation des connaissances, et a porté plutôt sur celui de la mémoire épisodique (stockage des expériences), domaine qui n'intéresse absolument pas l'apprentissage. Dans notre expérience, le simple fait de remplacer les mots par des phrases ne fera pas que la recherche portera sur l'apprentissage (plus qu'elle le faisait auparavant). Contrairement à la mémoire courte, il n'existe que quelques modèles d'organisation et de processus de mémorisation de longue durée qui soient relativement formels et spécifiques. L'étude expérimentale de la mémorisation des textes, de la compréhension, des processus de déduction et de la mémoire sémantique ne fait que commencer. Ainsi, les théoriciens de la mémoire ont manifesté une fâcheuse tendance à se fier uniquement aux données de l'apprentissage de listes, en négligeant les autres problèmes, pour construire finalement non pas des modèles pour la mémoire en général, mais des modèles de mémoire pour listes de mots" (60, p. 4, 74 et 79).
Ne s'agit-il pas ici du problème des systèmes actuels de stockage et de recherche de l'information ? L'apprentissage a besoin de structures d'information par sujets et non pas par listes.
"L'un des traits les plus caractéristiques de la mémoire est qu'il est plus facile de se souvenir d'une chose structurée que d'une chose qui ne l'est pas, que les individus cherchent activement à déceler la structure de la chose à apprendre, et à imposer leur propre structure subjective s'ils ne peuvent pas en trouver une autre... Dans tous les processus de stockage, de structuration et de recherche documentaire dans la mémoire il doit y avoir une opération de structuration" (60, p.4 74 et 83).
En outre, l'acquisition de nouvelles connaissances présuppose l'existence dans la mémoire de structures auxquelles les informations nouvelles peuvent être reliées. L'apprentissage ne consiste pas à enregistrer passivement une information nouvelle (60, pp. 4 et 83). De plus, les structures peuvent être constituées de règles génératives et non de simples concepts.
"Quand on parle de la structure de la mémoire, on pense en général à quelque chose ce donné, de stable, de planté à l'intérieur du cerveau, dans toute sa complexité, comme une cathédrale gothique qui se dresse sur la place d'une ville. On peut aussi penser que la structure n'est pas matérielle, mais potentielle, et qu'elle se crée à volonté, sur la base d'une information implicite et selon certaines règles" (60, p. 23).
Malgré sa plus grande transparence, on peut se demander s'il existe un modèle satisfaisant de système de documentation internationale, avec tous ses sous-systèmes. Sinon, pourquoi pas ? C'est certes là une façon très intéressante d'étudier les problèmes ce l'utilisateur-apprenti. Il serait beaucoup plus facile à simuler que la mémoire individuelle (comme dans les recherches sur l'intelligence artificielle). Nico Frijda a donné des indications utiles sur les propriétés structurales qui doivent finalement être prévues dans un modèle de mémoire. Ce modèle doit (au minimum) comprendre le codage d'éléments simples (unités cognitives), de classes, de relations (déductions, fonctions), de systèmes d'ordre plus élevés. Dans un modèle adéquat, on doit prévoir, en outre, des méthodes permettant de transférer les données, d'introduire des informations nouvelles dans la base de données et de tirer les conséquences qui influent sur une action future. Pourtant,d'après la conclusion de Rigda:
"Donner une représentation formelle de cette complexité est une chose, envisager les processus d'apprentissage qui créent les catégories nécessaires ainsi que les structures spécifiques en est une autre. Il nous semble que l'étude des processus d'apprentissage, qui peut expliquer l'acquisition des connaissances, vient à peine de commencer" (61, p. 159).
Les publications actuelles sur la mémoire individuelle envisagent un riche ensemble de systèmes de stockage, stations temporaires jalonnant l'itinéraire suivi par l'information dans le processus d'assimilation. La mémorisation recouvre des processus de perception et de décision, non pas comme dans un système unitaire, mais dans une synthèse d'activités cognitives différentes.
Dans l'explication du processus, on s'est écarté de l'enregistrement de l'expérience, gravée sur une surface réceptive appropriée, pour s'orienter vers un traitement sélectif dans lequel l'information est codée, stockée et recherchée par la mise en oeuvre de stratégies de traitement qui peuvent varier selon les contraintes matérielles et la tâche à accomplir (62, p. XIII).
Ce dernier point fait actuellement l'objet de travax au cours desquels : "Le produit final peut être décrit sous forme d'un graphe orienté, dont la structure reflète celle de l'information de l'utilisateur. Ce que nous souhaiterions faire, c'est trouver des procédures expérimentales permettant de révéler facilement au moins la partie fondamentale de ces deux structures" (53, p. 9l).
L'auteur mentionne ensuite le problème de la classification, qui touche directement à l'utilisation des systèmes de documentation internationale à classification rigide :
"Il existe un autre problème: l'organisation des schémas internes risque de ne pas être la même pour des groupes différents de personnes. Ainsi, dans un hôpital, les infirmières classeront probablement ensemble les malades souffrant d'une angine ou bien de l'appendicite, et ensemble aussi ceux ayant subi une opération du cancer de la gorge ou de la prostate, puisque la première catégorie nécessite peu de soins et que la seconde exige des soins intensifs. D'autre part, il serait plus naturel pour le personnel médical de classer ensemble d'une part les malades ayant subi une amygdalectomie et ceux souffrant d'un cancer de la gorge et, d'autre part, les malades ayant été opérés de la prostate ou de l'appendice, en se fondant sur les parties du corps en cause" (63, p. 9l).
Plus généralement, cela révèle une grosse lacune dans la réceptivité de l'utilisateur à l'égard des systèmes de documentation internationale qui ont recours à la classification en catégories logiques. Quelques études sur la mémoire individuelle se focalisent maintenant sur les réseaux d'association ou de pertinence :
"La pertinence nous indique seulement les choses qui vont ensemble. C'est à la fois dans le monde lui-même, dans la signification de la structure et des connexions causales spatiales et temporelles, ainsi que dans la représentation que notre esprit a du monde - communément désignée sous le terme 'connaissance du monde' - qu'on doit trouver cet aspect d'appartenance: l'auteur soutient que l'un des aspects les plus importants de cette connaissance du monde revient simplement à connaître ces connexions d'éléments qui vont ensemble. De toute évidence, ce type de connaissance n'est pas tout ce dont nous avons besoin. Au fait de savoir que chaise va avec table s'ajoute la nécessité d'être infomé en détail sur la nature relationnelle (logique) de la connexion. Cependant, si l'on considère le volume considérable d'inforciations relationnelles que nous transportons tous dans notre ménoire, l'extraction d'une partie de ces informations exige la présence de moyens permettant d'évaluer rapidement et globalement les autres possibilités à envisager dans une situation donnée... Mon interprétation des associations de mots est la suivante: ce sont des indicateurs directs des degrés de pertinence existant entre les concepts que les mots désignent par l'intermédiaire du sens qu'ils ont" (64, p108).
Ces réseaux association, qui recoupent les catégories classiques, pourraient mettre en lumière et faciliter les approches globales, reccommandées dans le rapport du Club de Rome.
"Les nomes ce l'association de mots, et particulièrement le réseau 'Associative Thésaurus', sont donc des applications assez directes de cet aspect structurel de l'organisation de notre esprit. Elles ne se bornent pas à nous indiquer quels sont les éléments qui dans notre pensée doivent être près l'un de l'autre, elles signalent aussi le degré de cohésion qui existe entre eux. L'étude détaillée de ce type d'organisation est, pour la première fois, possible à grande échelle grâce à l'Associative Thesaurus" (64, pp. 108-109).
De tels réseaux, conçus en tant que "bases de données, rendent aussi possible une nouvelle gamme d'analyses, précieuses pour l'utilisateur. Cet élément a été un facteur déterminant, par exemple, pour l'organisation de l'ouvrage expérimental intitulé Yearbook of World Problems and Human Potential (2).
Bien que l'établissement de cartes de pertinence soient d'un grand secours pour les utilisateurs de documentation internationale (15), les besoins de compréhension et d'apprentissage novateur, qui sont stimulants, rendent ce progrès d'ores et déjà inadéquat.
Les cartes sont, en effet, trop complexes et mal organisées pour faciliter la mémorabilité contextuelle et la compréhension, qui s'opposent à la consultation dans le détail. Ici encore, l'usage des plans de métro est un bon exemple. On peut les utiliser, mais il est difficile de mémoriser leur contenu intégral. On a vu que c'est ce qu'il en coûte lorsque l'on s'écarte du schéma classique et hiérarchique des catégories, quels que soient ses inconvénients.
Il s'agit de "condenser" des structures complexes d'information afin d'en faciliter la représentation, la communication et la compréhension, tout en conservant la mémorabilité contextuelle (10). Certains schémas de codage - l'utilisation des images, la méthode des lieux, et le système d'accrochage mnémonique des mots en sont seulement les exemples les plus familiers - sont employés depuis longtemps par les mnémonistes pour assurer la mémorabilité des événements (6 Pourtant, ce ne sont pas les étranges capacités de mémorisation de certains prodiges qui sont intéressantes, c'est "bien plutôt l'énorme défi à la mémoire des utilisateurs lancé par la problématique planétaire. Les défenseurs optimistes de l'accès illimité total sont prompts à renvoyer tous les problèmes de mémoire à un système informatisé d'information. Cela conduirait en définitive à concevoir l'utilisateur comme un "décideur sans mémoire" choisissant parmi les options fournies par l'ordinateur, c'est-à-dire comme un "dispositif humain de commutation", sans la moindre compréhension du contexte. Cela ne convient absolument pas pour l'apprentissage novateur.
Pour d'autres il faut (10, l3), de nouvelles approches. Il est intéressant de noter que ces approches font appel à des images structurées, qui vont dans le sens des arguments sur lesquels le rapport du Club de Rome insiste à propos des images, et ce pour différentes raisons (5, pp. 37-42).
"Des études récentes portant sur l'image ont solidement établi que les variables en images sont extrêmement efficaces pour toute une gamme de tâches incombant à la mémoire. En fait, ce sont les variables mnémoniques les plus puissantes qu'on ait jamais découvert ... L'information en images est structurée et intégrée de façon figurative, spatiale ou synchrone de sorte que les composantes de l'image peuvent être retrouvées simultanément ... Le système verbal organise l'information de façon séquentielle, c'est-à-dire qu'il enchaîne des unités linguistiques discrètes pour en faire des structures séquentielles d'un ordre supérieur ... Mais, aucune des informations disponibles n'explique de façon satisfaisante pourquoi les souvenirs liés à l'image semblent souvent résister davantage à l'oubli que les souvenirs purement "verbaux" ... (66, pp. 57, 77, 8l).
Comment les systèmes d'information peuvent-ils alors, par le biais des "images structurées" être d'un plus grand intérêt pour les utilisateurs ? La difficulté vient de ce que la fourniture d'images est considérée comme la tâche intellectuellement mal considérée des services de l'information publique des institutions internationales. Les images ont un "éclat" qui déforme énormément la relation avec les documents "ordonnés sobrement". Il faut y remédier pour que les questions documentées puissent être mémorisées et que les images destinées à l'information aient sur le public un impact plus que superficiel. D'où l'utilisation de l'expression "images structurées", qui doit combiner l'attrait visuel avec le contenu utilisable de l'information, intimement relié aux schémas conceptuels du système d'information. Il reste beaucoup de recherches à faire dans ce domaine (10, 15).
Ce serait pourtant une erreur de se contenter d'images structurées en général. Il pourrait arriver que des découvertes véritablement importantes pour la problématique planétaire ne soient possibles qu'avec la mise au point d'images structurées polarisées de cette problématique (40). Les images sont trop facilement perdues dans la "culture des spots" citée par Toffler (6). Il s'agit de savoir s'il est possible d'élaborer de nouvelles sortes d'images plus puissantes, pouvant polariser et orienter les stratégies d'accès de l'utilisateur, L'élaboration de ces images est à la frontière de l'élaboration d'un nouveau symbolisme. Ce sont les symboles qui, en tant que "métastructures", donnent le niveau d'intégration le plus puissant par rapport à l'utilisateur et lui permettent ainsi d'agir (lu). Il reste à trouver comment rattacher l'élaboration des symboles opérationnellement significatifs à la structure des stratégies d'accès de l'utilisateur aux concepts pertinents d'un système d'information (67). Pour remédier à la fragmentation de la mémoire collective, l'idéal serait d'avoir des symboles communs. et non des symboles spécifiques pour l'utilisateur uniquement. Pour ce qui est de l'utilisateur, il faudrait un symbole qui pourrait être un système d'information analogue au globe terrestre - d'une importance équivalente pour la communauté internationale. Ce symbole orienterait les utilisateurs selon la "sphéricité fonctionnelle" de la problématique planétaire et non selon la classification "planimétrique" actuelle des fonctions sociétales en tant que catégories de sujets. Qu'on puisse ou non mettre au point ces symboles généraux communs pour interrelier les cartes à accès détaillé, il faudrait que les utilisateurs soient à même de se servir d'autres symboles, axéssur l'utilisateur, limités par leur horizon particulier et interreliés grâce à la possibilité dirigée de les générer à partir d 'une base de données. L'incitation à la compréhension collective (et ses contraintes) peuvent, en définitive, conduire à une recherche poux remonter de ces symboles aux phénomènes intégrés de l'environnement naturel dont ils ont été "extraits" - et auxquels ils restent fondamentalement associés dans de nombreuses cultures, dont la participation au processus de l'apprentissage sociétal serait précieuse (68).
C'est la toile de ces autres symboles que les incompatibilités manifestes tendent pour lui donner la forme d'un réseau sphérique illimité de tensions où pourrait prendre place le vide sociétal grandissant d'une ignorance toujours croissante (10, 59, 69, 70).
La notion d'incompatibilités dans une relation de tension est dans la ligne des arguments, présentés dans le rapport du Club de Rome. En effet, "c'est la tension engendrée par la pression exercée pour choisir entre des valeurs multiples qui catalyse l'apprentissage novateur" (5, p. 40). Mais "la société ... est par nature conflictuelle, et par là même les problèmes globaux ne sont pas "résolubles" de manière définitive, mais doivent au contraire être considérés comme étant conflictuels" (5, p. 129). Les problèmes globaux ne peuvent être résolus pax l'apprentissage sociétal novateur, mais il est possible qu'une structure de compréhension d'un type nouveau soit à même de les contenir (13).
Entretien ou innovation: Bans les sections précédentes, nous avons insisté sur les problèmes nouveaux devant lesquels se trouvent les utilisateurs collectif et individuel, pour tirer parti de l'information disponible au niveau international. La présente étude pose comme hypothèse de base que le système de documentation internationale "pourrait donner une réponse aux problèmes de ces utilisateurs et adopter une approche participative de l'apprentissage sociétal novateur. Il s'agit de savoir s'il doit en être ainsi.
Dans quelle mesure le système de documentation internationale doit-il être perçu comme une partie du processus d'"apprentissage" sociétal ? Dans la présente étude on suppose que c'est là une fonction essentielle et que les responsables de ces systèmes seraient de cet avis.
Tout en soulignant l'importance capitale de cette approche nouvelle et novatrice de l'apprentissage, le rapport du Club de Rome conclut que l'apprentissage d'entretien continuera à jouer un rôle de tout premier plan. Ces deux rôles peuvent être considérés comme complémentaires. Cela signifie-t-il pour autant qu'ils sont incompatibles dans le même environnement informatif ? Etant donné la tâche déjà difficile du système d'information documentaire (et les restrictions budgétaires constantes), dans quelle mesure peuvent-ils satisfaire les besoins d'apprentissage novateur de l'utilisateur ?
Il s'agit ensuite de savoir si les systèmes de documentation internationale se sont, jusqu'à présent, concentrés exclusivement sur les besoins d'apprentissage d'entretien de l'utilisateur (comme on le dit ici). Le rapport du Club de Rome clarifie la distinction en ces termes :
"Ce type d'apprentissage consiste à assimiler aussi rapidement que possible des procédures consacrées, élaborées lentement mais sûrement pour des "problèmes" récurrents donnés. Pour résoudre un problème de ce type, on commence par faire des simplifications - consistant à définir, sélectionner et isoler une situation de tout un enchevêtrement de corrélations; c'est la conception scientifique classique. C'est aussi une définition de l'apprentissage d'entretien, qui est un processus de résolution des problèmes, fondé sur des plans restreints et des procédures acceptés, ayant des tâches et des objectifs bien définis. L'apprentissage d'entretien est essentiel, mais insuffisant. Il est indispensable dans ces situations précises dans lesquelles les hypothèses sont fixes. Cet apprentissage a une certaine cohésion interne dans sa signification. Les valeurs qui le sous-tendent sont données et admises. Il est essentiellement analytique et fondé sur des règles. Mais il chancelle dans des "cas limite". Ainsi, dans la conduite d'une voiture, l'apprentissage d'entretien enseigne ce qu'il faut faire lorsque le feu devient rouge ou vert. Mais il ne sert pas lorsqu'une panne de courant empêche complètement le feu de fonctionner. L'apprentissage novateur consiste à formuler et à grouper les problèmes. Il a pour principaux attributs l'intégration, la synthèse et l'élargissement des horizons. Il fonctionne dans des situations ou des systèmes ouverts. Il tire sa signification du désaccord entre lescontextes. La focalisation sur les changements nécessaires aboutit à une mise en doute critique des hypothèses classiques que recèlent les pensées et les actions traditionnelles. Ses valeurs sont non pas constantes, mais bien changeantes. L'apprentissage novateur fait progresser notre pensée en reconstruisant des ensembles, et non en morcelant la réalité... Il existe une autre différence d'approche entre l'apprentissage d'entretien et l'apprentissage novateur, différence plus subtile mais tout aussi importante. Le propre de l'apprentissage d'entretien est de créer des solutions dont la validité est assurée par l'autorité scientifique ou administrative qui est à l'origine de ces solutions. Vient d'abord l'adoption, puis la compréhension, l'assimilation et l'acceptation générales. Pour l'apprentissage novateur, ce qui est capital, c'est qu'un jugement est porté sur les solutions avant qu'elles soient proposées. Ainsi donc, l'un des objectifs majeurs de l'apprentissage novateur est d'étendre la gamine des options dans des délais suffisants pour que le processus de la prise de décision soit rationnel (5,p.42-44).
Cela étant, l'apprentissage novateur de l'utilisateur exige des systèmes d'information plus qu'ils n'ont pu donner jusqu'à présent. Aussi, le problème fondamental est-il de savoir s'ils doivent répondre à ces besoins complémentaires, ou ei ces besoins doivent être satisfaits par d'autres systèmes parallèles.
Si, comme il est dit dans l'introduction, on ne juge pas devoir chercher une solution à cette situation nouvelle, le rapport du colloque de 1972 est un guide approprié. Toutefois, on a supposé, dans les sections qui suivent, que l'on souhaite réellement résoudre les problèmes de l'apprentissage novateur.
Etant donné l'objet de la présente étude, qui est exposé dans l'introduction, il faut admettre qu'il existe des problèmes permanents, nais ils ne doivent pas masquer les difficultés plus fondamentales auxquelles se heurtent les systèmes de documentation internationale. Il importe d'être réaliste car ces problèmes subsisteront malgré les débats et les recommandations, comme ceux de 1972 (l), notamment lorsque "trop peu de recommandations ont été mises en pratique", (71, pp. 4 et 20). Il faudrait constamment exercer une pression pour y porter remède, bien qu'il ne faille pas espérer de grandes percées et qu'on ne puisse guère s'attendre à l'adoption de recommandations nécessitant une certaine coordination. En outre, l'émergence de problèmes nouveaux sera le corollaire naturel de l'évolution fragmentée d'une communauté internationale sous-financée, dans laquelle ceux qui produisent la documentation sont gênés par des problèmes budgétaires et dans laquelle la documentation est une source constante de confusion pour ceux qui facilitent son utilisation (7l, pp. 10 et 11). L'étude ce Schaaf (7l) résume admirablement la situation touchant bon nombre de ces problèmes, et ses remarques sur les mesures envisageables (71, pp. 20-24), qui n'ont pas besoin d'être reprises ici. En prenant quelques titres des chapitres de son étude, on pourrait grouper les problèmes comme suit: Volume de la documentation sous l'angle de l'acquisition, du traitement, de l'organisation du stockage, et de l'utilisation
A noter que nombre de ces domaines posent des problèmes aux utilisateurs, problèmes dont les solutions devraient être véritablement examinées par d'autres groupes d'experts. Dans mon étude destinée au Colloque ce 1972, j'ai étudié la portée de quelques-uns de ces problèmes (en qualité de rapporteur du groupe d'experts sur l'acquisition et l'organisation de la documentation internationale), dans la mesure où "l'acquisition" peut être considérée comme un problème pour l'utilisateur final, et non pour l'intermédiaire.
En général, les bibliothèques dépositaires qui ont répondu aux listes de questions du professeur Arntz, l'ont fait au moyen de descriptions par référence aux rubriques précitées, et on peut dire que toutes leurs observations ont été prises en compte dans les Actes du Colloque de 1972 (l) dans la version révisée de Robert Schaaf (7l).
2. Les problèmes de l'utilisateur et l'apprentissage novateur
Eu égard aux sections qui précèdent, il est significatif que seul un petit nombre des études ont été axées directement sur les problèmes de l'utilisateur. La plupart des études présentées par les institutions ont nécessairement trait aux problèmes de production et de diffusion des documents. La plupart de celles des bibliothèques dépositaires examinent forcément le problème de l'acquisition et du contrôle du flux de matériaux, et dans quelques cas, du problème des outils destinés aux utilisateurs. Mais les bibliothèques ne sont tout au plus que des utilisateurs intermédiaires. De toute évidence, elles ne sont pas les utilisateurs finals. Il est significatif que les questions du professeur Arntz portant sur les utilisateurs aient donné lieu à peu de réponses, ou. a des réponses qui n'étaient manifestement pas fondées sur une enquête de l'un on l'autre type. Les questions étaient les suivantes :
Ces problèmes seront examinés, du moins dans une certaine mesure (en même terras que toutes les communications reçues qui s'y rapportent), dans la section suivante dans laquelle on a cherché à donner une orientation plus pratique aux observations contextuelles des sections précédentes.
Dans cette section on a non pas examiné les problèmes permanents, énumérés à la section précédente, mais les problèmes fondamentaux relatifs à l'utilisation sous l'angle des besoins de l'utilisateur individuel et collectif, dans les conditions nécessitant un apprentissage sociétal novateur. Etant donné les obstacles financiers et autres de la communauté internationale, on a supposé que les problèmes permanents demeureront, et que toute recommandation devra tenir compte de la contrainte qu'ils représentent et rechercher les moyens de les éluder, si l'on veut aboutir à une solution.
1.1 Attitude active: qu'est-ce que le "système de documentation internationale" ? Il n'y a pas grand intérêt à s'adonner aux jeux des definitions, mais il est peut-être approprié de distinguer quatre composantes de ce système :
Une définition étroite ne donnerait aujourd'hui priorité qu'à la première composante, dans l'hypothèse que les autres réagiraient comme il convient à la production de documents. Une définition plus large, peut-être caractéristique de la bibliothéconomie "moyenne", inclurait la deuxième composante supposant qu'elle répond aux besoins de la troisième. Une bibliothéconomie "éclairée" comprendrait la troisième composante dans le système, en se fondant sur l'hypothèse qu'elle est une interface appropriée avec la communauté. Le problème réside dans le fait que l'apprentissage sociétal exige une évolution intégrée de ces quatre composantes
Un problème fondamental pour les intermédiaires est donc le suivant : dans quelle mesure la documentation internationale doit-elle être considérée comme un courant ininterrompo qui doit s'écouler passivement, dans la mesure du possible, jusqu'aux utilisateurs "accessibles" ? Les intermédiaires ne réagissent activement que dans la mesure où il s'agit de répondre aux demandes des utilisateurs prioritaires, et en linitant leur responsabilité à cette partie prioritaire du courant total qui peut être traitée avec les ressources disponsibles. Est-ce suffisant ?
L'une des stratégies qui s'offrent aux intermédiaires consiste à choisir un rôle actif (peu coûteur:), producteurs et utilisateurs cherchant à redéfinir leur action eu égard aux nouvelles structures de l'information fournies par les intermédiaires. On a examiné ci-après quelles sont les possibilités, mais l'objectif est d'insister sur une attitude plus active envers producteurset utilisateurs. Il s'agit d'une "attitude" différente de celle qui est de tradition dans la bibliothéconomie.
1.2 Le réseau de la participation producteur-utilisateur : Schaaf écrit que "l'utilisation des documents internationaux dans les bibliothèques est essentiellement orientée vers le sujet" (71, p. 9) - Mais il se limite aux organisations intergouvememontales (71, p.1), vraisemblablement parce qu'elles touchent à ses attributions professionnelles. Or, dans les études faites dans cette optique, la production de plusieurs milliers d'organisations internationales non gouvernementales, y compris les publications de la FID, où paraissent les communications de ces colloques, et le rapport du Club de Rome, où on lit (5, p. 80) :
'"Si on considère les gouvernements, les institutions intergouvernementales et les organisations non gouvernementales (les "0NG"), ce sont les ONG qui semblent offrir des perspectives interdisciplinaires, souples, à long terme, et qui donnent naissance aussi bien à l'anticipation qu'à la participation. Ce ne sont, bien sûr, pas toutes les ONG qui pourraient être considérées comme une source d'apprentissage novateur. Pourtant, le nombre et l'importance de celles qui sont novatrices croît à une vitesse étonnante. Beaucoup sont à 1'origine des réunions où des idées nouvelles et des variantes créatives peuvert être explorées et simulées en dehors des contraintes des obstacles économiques, sociaux, culturels, militaires, et politiques existants".
Si les utilisateurs sont orientes vers le sujet et si les ONGcontribuent de manière aussi importante à l'apprentissage novateur, c'est nuire au concept de documentation internationale que de les exclure en tant que- producteurs. Cette idée serait sans intérêt n'étaient :
C'est ce qu'exposé le rapport du Club de Rome :
"Des groupes de tous types s'affirment dans le monde qui rejettent une position marginale ou un état de subordination vis-à-vis des centres oui détiennent le pouvoir ... Sans la participation, par exemple, l'anticipation est souvent futile ... Pour l'apprentissage novateur, rien n'est plus essentiel que la participation et, en même temps, nul besoin n'estsans doute plus grand que celui d'apprendre comment participer véritablenent... D'un point de vue global, le potentiel d'apprentissage novateur dans l'ensemble du système mondial, dépend de l'ampleur de la participation aux niveaux international, national et local" (5, pp. 14, 29 et 30).
Cela revient à dire que de nouveaux problèmes peuvent surgir, en premier lieu, dans les publications d'une organisation non gouvernementale. Si cette éventualité ect véritablement exclue, l'élément anticipetif essentiel disparaît du "système de documentation internationale", qui n'est plus alors qu'un système d'apprentissage d'entretien. Par conséquent, il est déplorable que l'organisation des documents "internationaux" par les intermédiaires ne focalisent l'attention des utilisateurs (et des chercheurs) que sur une petite part des ressources d'organisation de la société internationale (71, p. 10).
Poux que l'apprentissage ait l'efficacité maximale, producteurs et utilisateurs doivent s'insérer dans un réseau bien intégré - d'autant plus que la plupart des utilisateurs collectifs sont aussi des producteurs, et vice versa. Déjà ce réseau "ganglionnaire" est un trait dominant de la société internationale, bien que nous soyons peu renseignés à son sujet (voir cependant référence 2). L'une de ses caractéristiques essentielles est manifestement la décentralisation, ce qui explique en partie pourquoi le contrôle bibliographique centralisé est pratiquement impossible. Dans ces conditions, tout producteur/utilisateur agit comme une sorte de "gardien actif" de certaines parties de la mémoire collective. Les intermédiaires ont la responsabilité de rendre visible ce réseau à tous les intéressés. Dans les collectivités locales, les bibliothèques ont souvent une fonction "réticulaire" pour la collectivité - pourquoi pas au niveau international?
1.5 Mémoire active: Le volume d'informations est si grand qu'il est bon de noter la tendance à la faire passer dans la mémoire "inactive", selon les étapes suivantes, qui se recoupent :
Ces étapes sont importantes car elles tiennent compte de la mesure dans laquelle un utilisateur est à même de se rappeler quelque chose pour pouvoir Doser une question appropriée. Schaaf parle de "l'établissement d'un réseau" destiné aux utilisateurs (71, p. 10), nais qui done est apte à contribuer activement à ce réseau ?
L'apprentissage sociétal se manifeste à travers l'accumulation d'informations dans la mémoire active. (On peut dire qu'une forme d'apprentissage "instinctif" apparaît lorsque les connaissances sont intégrées dans des procédures opérationnelles). Pourtant, il est difficile de considérer une information oubliée dans des documents oubliés comme une connaissance utilisable, lorsque la clef qui sert à l'extraire a elle-même été oubliée, ne serait-ce que temporairesement.
Si l'on veut accroître le volume d'information retenu de façon active, il faut de nouveaux outils. Les intermédiaires devraient tout mettre en oeuvre pour créer ces outils, ou du moins enencourager la création.
1.4 Lacunes de sujets: Actuellement, les intermédiaires réagissent passivement devant l'apparition de dorr.air.es nouveaux: ils créent de nouvelles catégories si les anciennes se révèlent inadéquates. Etant donné la structure des catégories de sujets "gérées" par ces intermédiaires, qui devrait signaler que des informations existent dans des documents concernant
mais non pour "le logement, le Pacifique" ? Qui devrait se préoccuper des "trous" évidents qui existent dans la structure de l'information disponible ? - étant donné notamment que la recherche de données manquantes pourraient être de plus en plus automatisée. Contrairement à ce que dit György Rozsa, à propos de la non- déformation de la documentation internationale, il y a eu une époque ou les séries de codes statistiques des pays omettaient "Taiwan" et la "Rhodésie", déformant ainsi manifestement toute étude du commerce international, parce que le commerce avec ces pays était censé ne pas exister. Une conception aussi sotte des données serait extrêmement grave s'il s'agissait de maladies infectieuses ou ce pollution. Mais qui signalerait le "trou" ? Les intermédiaires ne devraient-ils faire en sorte que les producteurs s'occupent activement de ces "trous" ? - non pas simplement pour rechercher des documents manquants, mais surtout pour parvenir à déterminer les coins obscurs de la programmation. On pourrait avancer un argument analogue au sujet de l'information située à peine au-delà de la frontière du domaine de sujets confiés à l'institution productrice. Qui aide l'institution à déterminer quelles sont les informations pertinentes à "importer" (ou à exporter) à travers cette frontière ? Dans quelle mesure peut-on le faire par "malaxage" automatisé de la base de données des catégories de sujets ? Sinon, pourquoi pas, et qui d'autre devrait avoir cette responsabilité ?
2.1 Les questions de l'utilisateur: L'apprentissage d'entretien dans le cas des intermédiaires a pour caractéristique qu'il permet de répondre passivement à un utilisateur en lui donnant "exactement ce qu'il a demandé". Connaît-on suffisamment la façon dont un utilisateur formule ses questions - surtout lorsqu'il est troublé par les méthodes des bibliothèques ou l'étonnement des bibliothécaires ? (71, p. 11). Comment améliorer la qualité des questions posées ? La pléthore des études consacrée au système de l'ONU (71, p. 10), études dont la valeur cumulée semble être assez faible donne à ponser que ce système est étudié dans une large mesure "Parce qu'il est là" et qu'il contient une masse de documents à compulser. On peut donner comme exemple les modes de scrutin. Quel est le sens des termes "amélioration" dans un contexte d'apprentissage novateur ?
Etant donné l'importance - reconnue par l'utilisateur - qu'il y a à organiser la documentation par sujets, comment se fait-il que les guides destinés à l'utilisateur, examinés par Schaaf, (71, pp. 13-16) soient conçus pour le producteur ?
Ne conviendrait-il pas de mettre au point un guide qui critiquerait la façon que l'utilisateur a jugée la meilleure pour formuler sa question ? Il pourrait être relativement court, et avoir éventuellement la forme d'un graphique mural sommaire (ou d'une notice), ou celle d'un manuel d'enseignement programmé. Son rôle consisterait notamment à empêcher l'utilisateur d'être "coincé" par :
Ce guide devrait, à la façon d'un catalyseur, "habiliter" ou "permettre" à l'utilisateur de donner libre cours à sa créativité personnelle, et l'aider à redéfinir sa position par rapport aux catégories auxquelles il était initialement censé limiter son intérêt. A chaque étape, il devrait affronter le "Etes-vous sûr que le vrai problème est bien celui auquel vous pensez" ? Ce guide devrait l'encourager à penser "latéralement" (75) et le confronter à la difficulté de l'intégration (examiné ci-dessous).
Le guide ne devrait pas être axé sur l'institution, et devrait donc être produit sous l'égide d'une organisation comme l'Association des bibliothèques internationales.
2.2 Les problèmes du producteur: Lorsque l'institution "productrice" est également un utilisateur, le document précité convient aussi. Comme on l'a vu, il faut des outils pour orienter l'utilisateur qui élabore une politique en fonction des connaissances et des problèmes qui influent sur le domaine d'intérêt qu'il s'est fixé. Il faut lui inculquer les notions de synthèse et de contexte, comme le mentionne le rapport du Club de Rome (5,p. 19-24). L'inverse est vrai aussi. En exagérant, c'est presque comme si un utilisateur devait formuler un avis d'impact fondé sur la connaissance (comme un avis relatif à l'impact sur l'environnement) pour préciser les conséquences de "1'activation" et du développement de la connaissance et de l'action dans un domaine particulier, à l'exclusion de toute action dans des domaines auxquels ce domaine se rattache.
2.3 Reconfiguration des schémas de catégories: Le très gros investissement financier, la participation intellectuelle et personnelle à des schémas de catégories doit être acceptée avec toutes les implications dues au manque de souplesse dans l'expérimentation d'autres possibilités à ce niveau. Cependant, avec un investissement minime, on pourrait donner aux utilisateurs la possibilité d'expérimenter d'autres structures de catégories, correspondant à leurs priorités et à leurs préférences. De toute évidence, on obtiendrait les meilleurs résultats par une exploitation directe, mais certains pourraient privilégier un traitement par lots. Les utilisateurs pourraient alors manipuler un vaste ensemble de catégories de sujets pour construire de nouvelles structures, gags altérer la catégorisation existante des données bibliographiques auxquelles cet ensemble pourrait être relié. L'utilisateur pourrait même consulter un système en direct au moyen d'une structure "personnalisée", utilisée comme une interface dansle système normalisé. Si elle est imprimée, cette structure pourrait très bien être une carte (voir ci-dessous) et non une liste. Le processus par lequel l'utilisateur a préparé "sa" carte pourrait être utilement lié à une version traitée en direct de la méthode précitée d'enseignement programmé (p. 2.l).
Un gros avantage serait alors de permettre aux utilisateurs d'incorporer les catégories pertinentes non encore "reconnues" par le système d'information de leur institution, ou existant seulement dans les systèmes des autres institutions. Ils pourraient subdiviser, combiner ou relier les catégories selon des notions inacceptables pour les responsables du système d'information de l'institution. Un utilisateur pourrait établir plusieurs structures de ce type pour des orientations différentes de la politique (par exemple politique à long terme, mesure d'urgence, etc.). On pourrait offrir aux nouveaux utilisateurs un choix de structures,
Il est capital de ne pas oublier les incidences de l'énorme quantité d'informations produites, même dansle système de l'ONU. Une grande partie des informations d'un grand intérêt échappent, ne sont pas notées dans les listes bibliographiques, ou sont inaccessibles. La plupart de celles qui sont notées n'ont quasiment pas de valeur à long terme. En un sens, les guides sur les systèmes de référence, qui renvoient à ce qui est enregistré cachent l'ampleur de ce qui ne l'est pas. Qui pourrait établir un guide de ce qui n'est pas noté, et qui "oserait" le faire ? Etant donné l'urgence et la nature de l'apprentissage sociétal novateur, il conviendrait d'examiner les avantages correspondant aux besoins minimaux d'investissement des auxiliaires informatifs suivants :
3.1 Collections de questions: Etant donné l'ignorance et l'incapacité d'agir - qui sont grandissantes - on peut souvent éviter une action infructueuse ("l'action pour l'action") en posant des questions plus judicieuses. Nombre de questions intéressantes sont "enfouies" dans les documents internationaux. Beaucoup de documents sont le résultat de mauvaises questions. Beaucoup de bonnes questions n'arrivent jamais dans les documents accessibles (y compris ceux qui cessent d'être confidentiels), même s'il n'y a pas lieu qu'ils soient confidentiels.
Il est impossible de définir les critères d'une "collection de questions", essentiellement focalisée sur les questions censées être demeurées sans réponse. La quantité d'informations serait relativement petite. Cette collection serait précieuse pour la formulation d'une politique et pour la recherche et comme moyen d'enseignement. Périodiquement, un jury compétent pourrait évaluer les questions, de sorte qu'elles pourraient être classées de diverses façons, et interreliées dans un réseau de chemins éducatifs. La collection pourrait être ouverte pour l'addition de questions émanant d'utilisateurs motivés. Si elle convenait, on pourrait alors envisager de la relier aux documents.
A noter que l'on a souvent fait observer que ce ne sont pas de meilleures réponses à d'anciennes questions qui conduisent à améliorer l'action, mais de meilleures questions conduisant à de nouveaux types de réponses. La recherche de questions meilleures est un moyen capital pour remplacer le processus d'apprentissage par le choc.
3.2 Collections de résolutions: Créer une "base de données, axée sur les résolutions, serait une solution plus classique et nécessitant un plus gros investissement. Il ne s'agirait pas d'un cas seul et unique, car on a déjà fait beaucoup pour celles de l'ONU. La question est de savoir si toutes les institutions pourraient donner la priorité à cet aspect de la documentation internationale en tant que système distinct, et de préférence en direct, indexé par sujet (KWIC).
Comme on l'a souvent fait observer, à ce stade il n'y a pas d'organe qui centralise les décisions touchant la communauté internationale. Une telle base de données est une solution minimale, que les documents associés soient ou non sous contrôle.
3.3 Collections de propositions: Beaucoup d'énergie créatrice est
consacrée à la formulation des propositions qui, si elles sont signalées,
sont "enfouies" dans des documents. Comme elles apportent
des indices très utiles pour l'action future, il semblerait qu'il faille faire
un certain effort pour en donner un bref rapport analytique dans une
base de données en direct, indexée de façon appropriée. Un précédent intéressant,
le Bulletin of Peace Proposais (Oslo) ne devrait pas être considéré
comme un modèle, en raison de la longueur des textes qu'ils contient De toute
évidence, ce système est très précieux s'il suscite une large participation
et n'est pas focalisé sur les préoccupations d'un (groupe) d'institutions
particulier. Contrairement aux documents en général, ces propositions sont
de l'information "vivante", orientée vers l'avenir.
3.4 Collections de problèmes: Comme les problèmes perçus sont un élément essentiel de la problématique planétaire, il y aurait lieu de prendre d'autres mesures afin de conserver les brefs rapports analytiques les concernant dans une base de données en direct, indexée de façon appropriée. Les problèmes étant à la fois "enfouis" dans des documents, et souvent dénaturés par la façon dont ils sont présentés comme points de l'ordre du jour ou d'ans les programmes d'action corrective, il est parfaitement justifié de les traiter dans un système distinct. Ces problèmes devraient être enregistrés dans le système en fonction de la relation fonctionnelle qu'ils ont avec d'autres problèmes. Une base de données de ce type, portant sur quelque 2 600 problèmes planétaires, dans un réseau de 15 000 relations, a été créée sous une forme lisible par la machine pour la production de l'ouvrage expérimental intitulé Yearbook of World Problems and Human Potential (2).. La production de "cartes de problèmes", reliées sous forme d'"atlas" pourrait être un sous-produit non négligeable, qui stimulerait la participation à la mise à jour permanente de cette base de données.
3.5 Répertoire des documents clés: Etant donné l'embarras des bibliothécaires et des utilisateurs dans le labyrinthe de la documentation internationale, l'établissement régulier d'un répertoire des "nouveaux documents les plus consultés" serait une méthode méritant d'être étudiée. Ce répertoire pourrait se limiter à 50 documents, ou bien en compter jusqu'à 500 ou 1 000, éventuellement groupés par sujets (avec des catégories interdisciplinaires). Les documents pourraient être choisis par les bibliothécaires des institutions et regroupés par l'Association des bibliothèques internationales. On pourrait même aller plus loin et inclure dans le répertoire toutes les publications jugées intéresser la communauté internationale/la problématique planétaire, signalées par un groupe d'utilisateurs travaillant en collaboration - peut-être dans le cadre de la bibliothèque de chacune des institutions. Ce serait là un guide très précieux (et commercialisable) indiquant ce qui vaut la peine d'acquérir (bibliothécaires) ou de lire (utilisateurs). Il existe beaucoup de parallèles commerciaux: Listes des livres les mieux vendus, listes des disques les mieux vendus, indices d'écoute des émissions télévisées, etc. Cette liste aurait un rôle "fécondateur" important pour la catégorisation croisée.
3.6 Glossaires par matière: Dans son étude (77) Fred Riggs écrit :
"La compréhension des documents internationaux rédigés dans un 'jargon technique' échappe à de nombreux lecteurs. Les problèmes de l'utilisation des documents internationaux, portent moins sur la disponibilité ou l'importance intrinsèque de ces documents que sur l'aptitude des utilisateurs à saisir leur contenu ... Le problème de compréhension vient d'une difficulté sémantique fondamentale qui a trait à l'apparition et à l'utilisation de nombreux concepts nouveaux, à la suite du développement des sciences naturelles et sociales, de la technologie et de l'informatique ... Il s'ensuit qu'il n'est nullement facile de rendre un jargon technique en langage ordinaire."
L'auteur a étudié ce problème en profondeur par l'intermédiaire du Comité de l'analyse terminologique et conceptuelle (COCTA) (78) et du Programme de l'UNESCO INTERCONCEPT (79) Fred Riggs écrit aussi :
"La maîtrise de ces nouveaux langages techniques nécessite de nouveaux outils de référence qui prendront la forme de glossaires par matières - mais ces glossaires ne peuvent pas être d'une grande utilité s'ils ont la présentation traditionnelle qui est celle de la plupart de ces travaux."
Il a proposé des conceptions très spécifiques pour un nouveau type de glossaire (80)
Un effort considérable s'impose pour faciliter les relations intercatégories entre les domaines de sujets, et pour fournir aux utilisateurs des outils leur permettant de mieux vaincre la complexité devant laquelle ils se trouvent.
4.1 Techniques cartographiques: Les bibliothécaires ont été surpris par le succès des ordinateurs pour le traitement des listes de sujets, des indications bibliographiques et des lignes de texte. Cela leur donne une bonne maîtrise des "problèmes du bibliothécaire", mais ne résout pas les problèmes de l'utilisateur devant des listes indigestes d'acquisitions ou des dispositifs de recherche en direct de mots clés. L'apprentissage novateur exige que l'utilisateur dispose de nouveaux outils. Des "cartes" de sujets interreliés autour du thème central de l'utilisateur auraient une valeur inestimable en fournissant une notion du contexte pour guider ses recherches et lui signaler les domaines correspondants d'intérêt (15). Il serait possible de produire ces cartes à partir de bases de données relativement simples. Le matériel existe, et aussi le logiciel, mais aucun des intéressés n'a exprime ce besoin suffisamment fort pour qu'il y ait les fonds nécessaires pour rassembler les éléments (70).
En tant que document de base ne comprenant qu'une seule feuille, destiné aux réunions des institutions, le grand intérêt de ces cartes est d'indiquer le contexte de chacun des points à l'ordre du jour (et, à la suite des critiques présentées, de pouvoir être actualisées de façon permanente pour le sujet dont elles traitent) On a créé la base de données pour le Yearbook of World Problems and Human Potential en ayant à l'esprit cette possibilité. Elles auraient une valeur éducative indiscutable.
4.2 L'interdisciplinarité: Comme le souligne Georges Gusdorf dans un essai remarquable (74), 1'"interdisciplinarité" sert maintenant à couvrir la simple juxtaposition de disciplines n'ayant aucune interaction significative. C'est dans ce sens que l'on doit interpréter le jugement positif que porte Rozsa (73) sur l'interdisciplinarité de la documentation internationale. Les documents doivent souvent être évalués tant sur la base des disciplines qu'ils excluent que sur celle des disciplines qu'ils incluent. L'interdisciplinarité n'a pas réussi à prendre une forme autre que symbolique dans une société qui en a désespérément besoin. Le rapport du Club de Rome souligne qu'en dépit du volume de l'information publiée annuellement, l'information est "incomplète et lacunaire car elle a surtout un caractère intradisciplinaire et ne s'intéresse guère aux matériaux interdisciplinaires" (5, p. 109). L'"interdisciplinarité" universitaire est un sujet qui est tourné en dérision à cause de la politique inter-facultés et vidé de sa signification par le cynisme. C'est devenu une plaisanterie. On peut dire que la situation est même pire dans les institutions internationales. Ainsi, c'est dans la sérénité plus grande des bibliothèques et des systèmes d'information qu'il y a lieu de placer ses espoirs. Or là aussi, le terme "interdisciplinarité" est gênant, si bien que les livres qui ont cette caractéristique sont "flanqués" dans n'importe quelle catégorie, y compris la catégorie "générale", pour éviter de créer la notion d'inter-catégorie. L'effort fait en 1975 pour consulter le General System Yearbook (publié annuellement à Washington D.C. depuis 1956) à la Bibliothèque du congrès montre que les problèmes qu'a l'utilisateur pour accéder à ces matériaux sont réels et donne une indication de la vulnérabilité de la mémoire collective. On a pu obtenir deux volumes à la première demande. A la suite d'une protestation, une recherche fut faite dans les rayonnages et il apparut que plusieurs volumes avaient été mal classés sur des rayons voisins. La plupart avaient été perdus ou dérobés. L'UNESCO ne possédait pas la série.
Par exemple, il n'y a jamais eu d'étude des problèmes de classement des matériaux interdisciplinaires, parce que les bibliothécaires ont nié l'existence de ces problèmes. C'est la un gros handicap pour les utilisateurs, qui ne peuvent avoir la moindre idée des nombreuses possibilités d'intégration (Cf. Rev.2, chapitre k). Cette situation aboutit à l'accentuation générale des imperfections de l'approche interdisciplinaire. Il faudrait étudier l'ensemble du problème et revoir la position des matériaux interdisciplinaires par rapport à la catégorie "générale", en fonction des besoins de l'apprentissage sociétal et des difficultés de la problématique planétaire.
4.3 Les images: Le rapport du Club de Rome insiste fortement
sur l'imagerie: "les images qui ont un pouvoir intégrateur et de rappel
immédiat ont été sous- estimées en tant que composantes de l'apprentissage"
(5, p. 41). Les institutions internationales et leur système d'information
font de nombreuses manières du traitement de textes. Seuls les programmes
"d'information du grand public" emploient des images et ces images
ne sont pas considérées comme des documents de grande valeur. Il faut une
étude qui permette de voir quels sont les moyens d'y remédier. Les utilisateurs
pourraient se servir d'images pour mieux saisir la nature de la problématique
planétaire. Cependant, il importe d'éviter les approches superficielles
de l'imagerie qui sont un piège justifiant toutes les préférences pour le
texte.
Ce qu'il faut c'est trouver comment choisir une structure d'images rattachée à une structure correspondante de problèmes interreliés et permettant de comprendre cette dernière (éventuellement représentés sur une carte comme il est suggéré ci-dessus). Ce sont les possibilités de liaison transversale entre les structures qu'il faut étudier.
4.4 Analogie, métaphore, et paraboles: Le problème ce plus en plus grand de la comprehension et de la comnunication de la nature des conditions complexes dont nous sommes prisonniers, a été exposé à de nombreuses reprises. Ce problème est plus aigu lorsqu'il existe un besoin d'apprentissage sociétal rapide et novateur. Cela fait longtemps que les explications logiques classiques ne suffisent plus. Les mathématiciens (THOX, théorie des catastrophes), les "biologistes, les chefs religieux et les hommes politiques doivent, depuis longtemps, communiquer en utilisant l'analogie, la métaphore et la parabole. Il en est souvent ainsi dans les discours aux réunions plénières des organisations intergouvemementales, nais rarement dans les documents de base, qui sont considérés comme indigestes. Dans les trois cas on se sert d'images verbales pour expliquer les points difficiles et les rendre mémorisables. Comme pour les inares (ci-dessus), il faut manifestement combler l'abîne qui sépare ce node de ccmmunication qui est significatif du node de communication par les textes, qui souvent n'apporte rien. Les trois procédés peuvent aussi être de puissants outils intégrateurs axés sur l'home, fonctionnant même dans les collectivités les plus isolées. 11 existe peu d'autres procédés qui aient ces propriétés. En outre, corme le souligne le rapport du Club ce Rome, ils sont un stimulant pour la pensée intuitive (p. 126). Il s'agit de savoir si ces procédés ne pourraient pas être plus profitables si or. parvenait à les rendre plus accessibles (et "meilleurs") et davantage liés - pour aider les utilisateurs - aux "ensembles de problèmes" que traitent les documents classiques. Les documentalistes pourraient faire le premier pas en reconnaissant le besoin urgent de construire cette passerelle (hémisphère cérébral droit/hémisphère cérébral gauche).
4.5 Images structurées et symboles: La distinction importante à faire entre l'"imagerie" (ci-dessus) et les images structurées a déjà été examinée. Les images structurées sont, en effet, une union entre l'imagerie et la cartographie, union combinant quelques points forts de l'une et de l'autre. Elles peuvent également recouvrir une gamme de symboles intégrateurs puissants (10). Les images structurées et les symboles peuvent être des outils très performants pourcommuniquer et rendre crédible la nature de l'action. On fait ce gros efforts pour mettre au point des "symboles" convenant pour les programmes internationaux. Les symboles de ce type ne représentent souvent guère plus que les images peu perfornantes. Il s'agit de savoir si les images structurées qui orientent l'utilisateur vers des catégories de sujets complexes peuvent être liées (ou amalgamées) avec les puissants symboles existants, qui sont capables de créer une "volonté politique de changement". Signalons l'éventualité d'un échec si la liaison des ceux éléments n'est pas réalisée. L'emploration de ces possibilités ouvre une voie grâce à laquelle les structures conceptuelles actuellement statiques des systèmes d'information peuvent être "activées" dans un catalyseur dynamique te changement.
5.1 L'Utilisation. Nous sortes peu renseignés par les rapports du groupe d'experts sur l'usage qui est fait ce la documentation concernant les institutions, celui ces Nations Unies souligne la difficulté pour les gouvernements d'étudier la documentation. lacommunication du CARICOM signale environ "60 % de la documentation ne sont pas d'un usage immédiat ... environ 25 % n'ont pas l'intérêt escompté au moment où la demande est faite". Les autres rapports ne disent rien à ce sujet.
Quant aux bibliothéques, la réponse de celle du Parlament hongroisest la suivante: "Nous estinons que le matériau est utilise de façon satisfaisante". Celle du Parlement finlandais signale seulement "fréquemment utilisé". La Bibliothèque royale du Danemark indique que "les documents émanantdes organisations intergouvernmentales sent utilisés - nais non de façon satisfaisante". C'est aussi le jugement de la Biblioteca Nacional de Madrid. Le Centre national de 1'information scientifique et technique (Tel Aviv) dit: "Une grande partie de cette documentation, malgré sa valeur intrinsèque potentielle, ne sert à personne, parce que la, connaissance de son existence, de son contenu et de son accès est très mal organisée".
Dans un rapport sur la Library of Congress (Washington), Schaaf fait observer : "On manque de données précises, mais il est toutefois évident que les documents internationaux sont sous-utilisés" (71, p.9 ). A propos de la British Library. Eve Johansson (74) signale: "Dans cette "bibliothèque, corne d'ans toutes celles du Royaume-Uni, on pence généralement que la documentation des organisations intergouvemementales n'est pas utilisée comme elle le devrait, et que ses avantages ... ne sont pas appréciés à leur juste valeur". Eve Johannson énunere aussi des "raisons d'un degré d'utilisation non satisfaisant", raisons qui sont les "problèmes permanents" de la section précédente.
Schaaf mentionne la confusion des utilisateurs et J.P. Chillag remarque : "Les utilisateurs et les utilisateurs potentiels ... sont souvent déçus dans leurs efforts, d'abord pour identifier le matériau dont ils ont besoin, puis pour le localiser et avoir accès à la documentation internationale qu'ils denardent" (75).
Il est vraiment surprenant que l'on ait si peu d'informations surl'utilisation, étant donne le coût de la documentation et hypothèse d'une utilité suffisante pour justifier les ressources financières et humaines qui sont affectées à la documentation. La documentation est-elle aussi précieuse que certains voueraient le prétendre? Le terne "précieux" devrait-il être soigneusement défini pour justifier la production constante de certaines catégories de documents? Lesquels? Y a-t-il réduction de la valeur de cette documentation par suite de la rapidité des autres moyens d'information, notamment électroniques? Ce sont des questions qui nécessiteraient une étude ne justifiant pas la valeur par le désir de produire ou le désir de "figurer sur une liste de distribution éventuelle...".
5.2. Les utilisateurs. Les rapports du Groupe d'experts ne nous renseignent guère non plus sur les utilisateurs. Les rapports des institutions, s'il leur arrive de mentionner les utilisateurs, sont axés sur la distribution obligatoire aux membres et aux participants de la Conférence.
Les bibliothèques, qui sont des dépositaires de documents, indiquent généralement que les documents sont utilisés par "les spécialistes, les chercheurs et les étudiants". Force est de reconnaître qu'il y aura toujours des "utilisateurs" pour un sujet sur lequel il existe une abondante documentation. Johansson souligne qu'il y a peu "d'information en retour". Schaaf est le plus explicite de tous ! "Parmi les utilisateurs les plus fréquents figurent les membres du personnel des institutions gouvernementales et des facultés et les étudiants fréquentant les universités situées hors des villes, ainsi que les chercheurs d'innombrables institutions et associations" (71, p. 6).
Il n'y a presque aucune indication concernant les types de questions que posent les utilisateurs. Que cherchent-ils ? Pourraient-ils poser des questions plus judicieuses ? Connaissent-ils leurs besoins ou pensent-ils seulement les connaître ? Et que dire des utilisateurs potentiels qui sont désabusés, dont les intérêts ne sont pas pris en compte ? Les utilisateurs principaux sont-ils aujourd'hui ceux dont les activités ont besoin d'un appui prioritaire ?
Au lieu d'une étude de "l'acquisition et l'organisation de la documentation internationale" (Le titre de mon rapport pour le colloque de 1972 (l).) , on devrait faire une étude de "l'acquisition et l'organisation des utilisateurs". Il est temps de délaisser un peu les "documents inaccessibles" pour s'occuper des "utilisateurs inaccessibles". On est très perplexe à la lecture de cette observation de Johansson: "Beaucoup d'utilisateurs préfèrent recourir aux journaux et aux revues poux obtenir certaines informations qu'ils pourraient trouver dans les publications des organisations intergouvernementales, et sont prêts à se passer d'une partie de ces informations".
La façon de concevoir les utilisateurs et l'utilisation est totalement devenue statique; elle n'évolue que lentement et elle est fortement dictée par le désir des institutions de produire et de diffuser des documents. On ne peut dire en aucune façon qu'elle correspond aux besoins de l'apprentissage sociétal novateur.
5.3. Les variantes psycho-culturelles. On suppose un peu à la légère que l'organisation de l'information devrait correspondre à des approches élaborées dans les pays développés. D'après des études récentes (24), il existe d'autres approches, tout aussi valables, de l'organisation des concepts qui sont caractéristiques des cultures non indo-européennes (et par les utilisateurs potentiels "inaccessibles" des cultures indo-européennes). Or, même dans les pays occidentaux, on critique de plus en plus les approches booléennes de la recherche des données. On réclame une logique et des formes de présentation nouvelles (56, 57). Toute étude de l'utilisateur doit prendre en considération ces possibilités si l'on veut que la documentation internationale devienne acceptable pour ceux qui n'ont pas été élevés dans les traditions des pays développés.
L'argument du rapport du Club de Rome est tout aussi pertinent: "C'est en grande partie l'insuffisance des capacités d'apprentissage qui explique le faible niveau de compréhension non seulement des idées et des connaissances, dont l'origine est extérieure à une culture donnée, mais aussi des valeurs que renferment les technologies qui sont trop souvent 'transférées' de façon inappropriée" (5,p. 89).
Etant donné la quantité de renseignements précieux qui sont "enfouis" dans des documents inaccessibles, et compte tenu aussi de la dispersion des réseaux de données, il conviendrait de commencer à explorer les possibilités de créer une base de données se rapportant à des "concepts essentiels", comparables peut-être aux bases de données concernant les "profils de pays" qui sont constitués dans de nombreuses institutions. Cette base de données pourrait renfermer des idées et formules clés, éventuellement tirées de documents, intéressant expressément la problématique planétaire. Bien conçue, elle pourrait servir de centre pour l'enregistrement et la corrélation des connaissances et des besoins, avec référence éventuelle à des documents traitant plus en détail de la question considérée (76). Des fonds de données de cette nature, relativement compactes et ayant un caractère dynamique, sont indispensables pour entretenir l'élan du processus d'apprentissage sociétal novateur tous les aspects de l'accès futur à la documentation internationale.
Le système de documentation est un symbole de l'inertie sociale incarné. Est-ce que plusieurs des problèmes complexes du problematique du monde se prêtent au traitement dans les genres de documents qui peuvent être produits actuellement?
Comme indiqué dans l'introduction, les dispositifs d'information de la société de communication du futur émergent. Les télécommunications sont un composant essentiel. Elles sont de base aux possibilités futures passionnantes des réseaux informatiques par rapport à l'étude sociale. Comme a été dits avant que de tels réseaux soient "le système nerveux" planétaire. Mais comme indiqué dans le rapport du Club de Rome, de quelque manière que: "la négligence et l'abus des télécommunications est une autre illustration de la façon dont l'étude innovatrice est empêchée. Elle est en raison de l'existence d'un réseau de transmissions global... que leur négligence décourage ainsi ". (5, p. 55)
Particulierement inquiétantes sont les manoeuvres -- rarement divulgées -- auxquelles se livrent les autorités nationales des PTT et ceux dont relève la circulation effective des données nationales, pour jeter les bases d'un vertiable mandarinat de la communication. Les "transporteurs", de connivence avec les PTT, semblent viser à créer une situation analogue au monopole bien connuu de "sept soeurs" dans l'industrie de pétrole. Les PTT emploient de faux arguments pour justifier des tarifs lourds, des services monopolistiques, des normes inflexibles d'équipement, et des modèles restrictifs de l'accès. En partie c'est un effort classique à "écrémer le marché", en partie c'est une tentative effrénée de contrôle de conservation des communications (pour maintenir des revenus et protéger la technologie périmée de télex), et en partie il est fait sous pression des autorités concernées par la commande sociale (militaires, etc..).
à une époque où les coûts énergetiques montent en fléche, il est incroyable que le couperet puisse tomber si lourdement et si arbitrairment sur les communications, dont notre civilisation est tributaire pour maintenir "le tissu social" et le processus d'éducation novatrice. Il importe de reconnaitre les effets pernicieux de cet aberrant cynisme sur l'acquisition de la connaissance et sur tous les aspects de l'accès futur à la documentation internationale. L'Union internationale des télécommunications porte à cet égard une lourde responsabilité, en particulier compte tenu du fait que l'on envisage de faire de 1983 l'Année mondiale des communications.
Nous avons souligné ici la nécessité d'envisager la documentation internationale dans une perspective nouvelle, tenant dûment compte des besoins urgents de la problématique planétaire. Les documentalistes ont, à ce niveau, le devoir de permettre une meilleure intelligence de ces besoins, dans leur ensemble, ainsi que de stimuler et favoriser l'apprentissage novateur des utilisateurs, en particulier sur le plan collectif. C'est à eux qu'il incombe traditionnellement de veiller à ce que "les arbres ne cachent pas la forêt". Ils ne peuvent et ne doivent pas se complaire dans la passivité.
A l'échelon international, les documentalistes forment un groupe important parmi les gardiens de la mémoire collective. C'est cette mémoire que vient enrichir l'apprentissage sociétal. C'est elle qui constitue la "réserve" d'idées où notre avenir est en germe. Et pourtant, elle paraît être dans un état qui relève véritablement de la pathologie. Comment peut-on utiliser les systèmes d'information pour amener la société à "agir comme un seul homme", alors qu'elle se désagrège et que sa vision se trouble ? La mémoire collective est fragile - combien fragile, on ne le sait pas encore (voir Annexe 2). Quels enseignements pouvons-nous tirer de la grandeur et de la décadence des civilisations quant aux éléments qui doivent être rassemblés dans la mémoire sociétale pour assurer l'avènement d'un "âge d'or" ? Selon quels schémas compréhensibles ce regroupement peut-il être opéré ?
Le rapport du Club de Rome, l'un des principaux documents sur lesquels nous nous sommes appuyés, est un premier pas dans la voie d'une "étude de capacité de l'apprentissage sociétal. Une approche valable est celle qui a débouché sur l'Etude du PNUD de la capacité du système des Nations Unies pour le développement (New York, 1969). connue sous le nom de "Rapport Jackson".Nombre d'études plus détaillées sont nécessaires.
Le rapport ne mentionne pas expressément les systèmes liés à la documentation, et cette lacune doit être comblée. Il met en relief le processus d'apprentissage de la société, et non la façon dont cette dernière emmagasine ce qu'elle apprend. Or, dans une société "qui apprend", les deux aspects sont si intimement liés que, dans les extraits ci-après du rapport, les termes de "bibliothèque" et "systèmes d'information" pourraient valablement remplacer ceux d'"école" et de "systèmes d'éducation" :
"Nous ne sommes certes pas enclins à défendre la conception actuelle de l'école, qui nous paraît trop axée sur l'apprentissage d'entretien, mais nous ne pouvons pas non plus concevoir sans institutions la mise en place d'un apprentissage novateur généralisé" (5, p. 63). "La mesure dans laquelle les sociétés ont sacrifié l'apprentissage novateur à l'apprentissage d'entretien est révélée par l'importance des non-sens que comportent leurs systèmes, d'enseignement et par la façon dont elles gaspillent le potentiel humain" (5, p. 67).
Il se peut que toute la connaissance soit bientôt à portée de notre main, mais la question est de savoir comment l'utiliser de façon novatrice. Répondre à cette question c'est constater que la connaissance n'est pas, tant s'en faut, à portée de notre esprit. Dans sa conception actuelle, le terminal de données favorise un apprentissage d'entretien, de faible qualité. Quelle sorte de mémoire collective voyons-nous apparaître ? De quelle assistance les utilisateurs ont-ils réellement besoin, tant individuellement que collectivement ?
En raison de sa place croissante dans la société, l'ignorance doit retenir l'attention tout autant que la connaissance. Là, la société doit en quelque sorte parvenir à un compromis. L'ignorance ne peut pas être "éliminée" et, replacée dans une juste perspective, elle peut même devenir une ressource essentielle. De même, les processus consistant à apprendre et à "désapprendre" sont complémentaires. On a souvent affirmé que l'acquisition d'une meilleure intelligence des choses était un processus consistant à se défaire des fausses idées reçues. Cela dit, quel est le juste équilibre entre ce que la société se rappelle et ce qu'elle oublie ? L'étude de ces aspects pourrait avoir d'utiles incidences en ce qui concerne l'obtention et l'organisation de l'information, au niveau des utilisateurs. Elle permettrait de centrer plus nettement le débat.
Le volume de l'information produite et les rapports d'interdépendance entre ses composantes sont tels qu'aucune solution classique ne peut être à la mesure du défi à relever, compte tenu des contraintes du moment. Il faut de toute urgence trouver des "raccourcis" pour atteindre à peu de frais le but de l'apprentissage sociétal accéléré - l'apprentissage à "effet multiplicateur", pour parler le langage des économistes. Des techniques sont nécessaires afin de "conserver la durée d'attention de l'utilisateur" et de "secouer l'apathie" de ce dernier. Il appartient notamment au documentaliste d'oeuvrer pour la mise en place de "systèmes de polarisation de l'attention" et de "collecteurs d'attention", dans l'intérêt de l'utilisateur.
Le rapport du Club de Rome met en relief l'importance que présente le développement du potentiel humain, vu comme la pierre angulaire du processus d'éducation sociétale. Toutefois, ce faisant, ses auteurs affirment malheureusement aussi l'absence de bornes à la possibilité d'apprendre, alors que ce sont précisément les limites existant à cet égard qui entravent sérieusement la mise au point d'un système d'information de soutien. Mais peut-être faut-il regretter plus encore que soit tacitement exprimée l'opinion selon laquelle les limites sont en elles-mêmes une "mauvaise chose". Car apprendre, c'est essentiellement au contraire dépasser les limites. C'est pourquoi il nous paraît indiqué de rappeler, pour conclure, le commentaire de Richard Wilhelm sur les "limites", l'un des 64 hexagrammes contenus dans l'ouvrage intitulé Yi King ou le (Livre de Changements), qui est désormais un classique :
"Les limites sont gênantes, mais elles sont un fait ... Elles sont également indispensables au contrôle de l'évolution du monde ... Dans sa propre vie aussi, l'homme se révèle pleinement par sa capacité de discerner et de fixer des limites ... Il ne peut pas y avoir, pour l'homme, de possibilités illimitées; s'il en existait, la vie humaine se perdrait inéluctablement dans l'infini ... L'homme ne s'accomplit comme un esprit libre que dans la mesure où il s'entoure de ces limites et tranche, pour lui-même, la question de savoir où est son devoir." (82, p. 231 et 232)
Annexe 1:
La mémoire collective personifiée: une analogie
Annexe 2:
Quelques indicatiçons concernant la pathologie de la mémoire
collective
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